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Adieu Göksin –par Alain Mingam

Irremplaçable Göksin

Göksin a collectionné les scoops, les photographes aujourd’hui tous orphelins du père qui les a fait naître au métier.

Les souvenirs se bousculent comme devant son bureau quand il fallait partir. La concurrence était vive pour se précipiter sur une idée de reportage à Beyrouth, Téhéran à Luanda ou Lisbonne. Je me souviendrais toujours de l’enveloppe pleine de pièces, qu’il est allé lui-même extraire de la machine à café située à l’entrée de l’agence rue de Berri pour payer le taxi. Point le temps d’attendre pour ne pas rater l’avion pour Lisbonne après le coup d’état de la « Révolution des œillets ». Il n’y avait jamais de problème pour Göksin, que des solutions.

Il n’avait pour souci que d’être au plus près de « l’actu », affamé de télévision et goulu de tous les journaux, dont il tournait avec délectation les pages sur son vaste bureau. Avec quelque chose en lui de Citizen Kane et d’Orson Wells sans cigare, il avait un œil d’aigle papivore. Il plongeait chaque matin dans le trésor des quotidiens pour aller, de ses grands bras d’ancien basketteur, en extraire les pépites du jour, annotées, découpées dans l’urgence pour servir de sésame au départ de l’un d’entre nous.

Géant naturel d’une mondialisation avant l’heure de l’info, Göksin avait l’élégance naturelle d’un albatros, qui survolait la presse internationale et piquait dans l’océan des dépêches, entre deux vagues d’éditing, les seuls news valables du jour. Il savait mieux que quiconque sentir, renifler, tel un chien de race aux aguets, « scanner » le moindre indice d’une petite ou grande « story » à suivre. Il était à ce moment-là déjà dans l’impatience des rouleaux de films à venir.

Véritable Brahma du téléphone, aux mains multiples pour saisir tous les appels, il n’en donnait plus qu’il ne fallait pour convaincre de la pertinence d’un reportage et « vendre » celui ou celle qui allait le réaliser : Yan Morvan, Christine Spengler, Reza, Thierry Boccon-Gibod, Patrick Chauvel, Patrick Frilet , Françoise Demulder, Abbas , Jean-Gabriel Barthelemy, Alfred Yagodzabeh, Alexandra Boulat , parmi toutes celles et ceux à qui il a mis le pied à l’étrier. Sa ligne téléphonique était le chemin encombré qui le menait au bonheur d’annoncer un assignment ou une garantie avec Stern, Match, Time ou Newsweek, Gente

Dans la lignée de ceux qu’il avait lui-même réalisés en Chine, à Cuba, à Djibouti, son appétence des scoops était la vraie raison de toutes ses passions journalistiques. Toujours avec pudeur et fierté maîtrisées. Une anecdote. « Allo Göksin , je suis sur l’autoroute du Nord près d’Ermenonville, un DC10 de Turkish Airlines vient de se crasher pas loin, je fonce ». Je suis arrivé en même temps que pompiers et policiers. Quelques heures plus tard en ce dimanche du 3 mars 1974, de retour à l’agence, l’effervescence est à son comble. De son regard perçant aimanté par les planche-contact, Göksin explore les images incontournables. La photo de la veste intacte du commandant de bord accrochée à la branche d’un arbre déchiqueté fait d’emblée l’objet de tirages urgents pour Istanbul et l’Angleterre. Une des plus grandes catastrophes aériennes vient d’accrocher sur le funeste porte-manteau de l’Histoire son symbole funéraire. Aucune émotion ni congratulation déplacées. Göksin, cachait avec pudeur ses sentiments et n’exprimait qu’un soupçon de légitime fierté, en nous appelant les uns les autres pour nous montrer et donner les dernières parutions, qui signaient notre appartenance à la grande famille de Sipa Press.

Les départs annoncés vers Gamma ou Sygma, le chagrinaient. Mais avec une grande élégance de « pater familias » compréhensif sur ses enfants prodiges, dont il espérait toujours le retour, il faisait remarquablement semblant de ne point en être trop affecté. Et il ne manquait jamais par la suite de rappeler… sa marque de fabrique !

L’homme avait des formidables qualités de cœur, de générosité qui compensaient souvent son peu de souci pour la gestion, loin d’être sa préoccupation primordiale. Sipa, disait-on souvent entre nous avec une joviale affection , pouvait prendre des allures de bazar ou de souk à la turque. Mais c’était aussi notre monde préféré car Göksin pouvait prendre un temps certain pour répondre à nos réclamations, voire revendications pour les versements des piges et des frais. Il fallait quelque touche grise sur le portrait d’un homme haut en couleur et d’un journaliste souvent au sommet de ses compétences.

Dans une interview pour « Médias » que je menais sur sa perception du rôle défunt des grandes agences, Patrick Chauvel disait avec justesse : « Göksin nous aurait demandé de partir sur la lune sans garantie de retour, nous l’aurions fait » !!

Göksin restera, pour nous tous, le soleil de nos jeunes années.

Alain Mingam

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