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Académie des Beaux Arts : Entretien sur Bruno Barbey avec Caroline Thiénot-Barbey et Jean-Luc Monterosso

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À l’occasion de l’exposition de la série photographique Les Italiens de Bruno Barbey, organisée par l’Académie des beaux-arts, L’Œil de la Photographie a rencontré ses deux commissaires, Caroline Thiénot-Barbey et Jean-Luc Monterosso, pour évoquer le parcours du photographe et académicien franco-suisse.

 

Caroline Thiénot-Barbey et Jean-Luc Monterosso, pour commencer, pourriez-vous évoquer votre rencontre avec Bruno Barbey ?

Caroline Thiénot-Barbey (CTB) : Je l’ai connu en 1970. Ce n’était pas à l’époque des Italiens malheureusement. Peu après notre rencontre, je suis partie trois mois avec lui en Amérique du Sud : en Argentine notamment, au retour de Juan Perón ainsi qu’au Chili peu avant le coup d’État. Au départ j’écrivais les textes pour ses photographies, puis, lorsque Beaulieu a distribué des caméras à certains photographes dont Bruno, je m’y suis intéressée et j’ai commencé à documenter par le film ses reportages. Plus tard, je me suis occupée de ses expositions puis, grâce à l’arrivée du numérique, j’ai pu réaliser des vidéos présentant son travail. Avant de mourir, il travaillait sur une édition des Italiens par Delpire et nous avons porté le projet, jusqu’à cette exposition aujourd’hui.

Jean-Luc Monterosso (JLM) : J’ai rencontré Bruno Barbey plusieurs fois. Je le connaissais surtout par son travail sur le Maroc mais je ne l’ai vraiment découvert et rencontré qu’au moment de sa rétrospective à la Maison Européenne de la Photographie en 2015. C’était un homme élégant, généreux, proche des gens. Ce n’est pas un hasard s’il a réussi à 21 ans, à si bien capter, cette Italie des années 1960. Pour beaucoup c’était « LE » photographe de la couleur mais c’était surtout un grand photographe documentaire, un reporter au long cours, qui n’a jamais cherché le scoop, et se refusait à photographier les horreurs de la guerre. Il savait avoir la bonne distance par rapport aux événements et à ce qu’il voyait. Et c’est cela qui fait la grande qualité de son travail.

 

Ce qui m’a beaucoup touché dans Les Italiens est la manière dont Bruno Barbey capte les regards. Qu’est-ce qui vous touche le plus dans l’œuvre du photographe ?

JLM : Les regards bien sûr, mais pas seulement celui des gens, le sien. La manière dont les gens se laissaient photographier à l’époque est d’ailleurs tout à fait incroyable et ne serait plus possible aujourd’hui. Il le disait lui-même, « pour les italiens c’était naturel d’être devant l’objectif ». Mais il y aussi chez Bruno beaucoup de retenue et de gentillesse. Cela entrait en jeu. C’était un regard de méditerranéen sur les méditerranéens, à la différence peut-être d’un William Klein qui, lui aussi, a photographié les italiens, mais d’une manière plus frontale, à l’américaine !..

 

Bruno Barbey est surtout connu pour sa grande maîtrise de la couleur. Quel est votre regard sur son travail en noir et blanc, que l’on découvre notamment ici avec Les Italiens ?

CTB : En noir et blanc, il était plus porté sur les portraits tandis qu’avec la couleur il était peut-être plus dans l’abstraction. La couleur et l’humain, c’était très difficile. C’est pour cela qu’ensuite, il y a toujours eu de l’humain, puisque c’est un humaniste avant tout, mais de façon plus pointilliste.  C’est au Brésil qu’il a pris ce tournant. Il n’est ensuite jamais retourné au noir et blanc. Il était l’un des précurseurs de la couleur chez Magnum, avec Ernst Haas qu’il admirait beaucoup, mais aussi Harry Gruyaert. À l’époque c’était un choix difficile, plutôt mal vu et associé à la photographie commerciale.

JLM : Cartier-Bresson par exemple détestait la couleur. Bruno l’a vraiment découverte quand Edmonde Charles-Roux, la directrice de Vogue, lui a confié ce reportage au Brésil. Il est parti avec des pellicules Kodachrome et a fait plusieurs pages en couleur. C’est un enfant de la couleur à un moment où la couleur commençait timidement à s’imposer aux États-Unis.

 

 

 

 

Qu’est-ce qui a fait qu’il s’est autant intéressé aux événements historiques ?

CTB : Son entrée à Magnum l’a fait s’intéresser au photojournalisme, ce qu’il a fait au début. Ensuite, dans le photojournalisme il a trouvé un créneau qui l’intéressait, plus que le journalisme à proprement dit puisqu’il préférait être présent avant ou après les événements. Henri Cartier-Bresson avait également déjà cette approche.

 

Quel était son rapport au photojournalisme et à son travail chez Magnum ?

JLM : De mon point de vue, Magnum a peut-être brimé un peu la spontanéité des photographes. Si l’on regarde par exemple Cartier-Bresson, ses photographies les plus importantes et les plus personnelles ont été réalisées avant Magnum. La contrainte d’une commande change beaucoup de choses et fait perdre une forme de liberté et de légèreté dans le regard. Ce qui est formidable avec ces photographies des Italiens c’est que Bruno Barbey les a faites pour son propre plaisir.

CTB : Ce qui l’intéressait le plus dans le photojournalisme, c’était le côté historique et la possibilité d’approfondir certains pays en y retournant à plusieurs reprises. Il a dû retourner une dizaine ou une quinzaine de fois en Chine, de même qu’au Maroc. Il était très intéressé par l’histoire et la culture de chaque pays.

JLM : Et le Maroc était son Maroc puisqu’il y est né.. Ce n’était pas une commande, il posait un regard très personnel sur un pays qu’il connaissait bien et où il avait vécu.

 

Bruno Barbey entretenait également un rapport particulier à la littérature

JLM : Ce qui est étonnant chez Bruno, et c’est assez rare chez les photographes, c’est qu’il était toujours accompagné d’écrivains importants, Le Clézio ou Jean Genet par exemple. Ce rapport qu’il a avec la littérature est sous-jacent dans ses images et l’histoire qu’elles racontent.

CTB : Lui n’a jamais écrit. Il regrettait toujours de ne pas avoir pris de notes au fur et à mesure de ses voyages. Il était trop concentré sur sa photographie. De la même manière, alors qu’il était passionné de cinéma, et que son premier travail fut d’être à la caméra pour un film de Rohmer, La boulangère de Monceau, il n’a jamais voulu faire autre chose que la photographie.

 

Quel voyage a le plus marqué Bruno Barbey ?

CTB : Je dirais que c’est son retour au Maroc.

JLM : Il y a aussi le voyage futur qu’il souhaitait faire, à Chengdu, au Sichuan, pour continuer à travailler sur la Chine. C’est un projet qu’il portait et dont il parlait souvent mais qu’il n’a pu, hélas ! achever.

 

Informations pratiques

Bruno Barbey – Les Italiens
Du 11/05/2023Au 02/07/2023
Commissariat : Caroline Thiénot-Barbey et Jean-Luc Monterosso
Académie des Beaux-Arts
Pavillon Comtesse de Caen
27 quai de Conti – Paris 6
Entrée libre et gratuite, du mardi au dimanche, 11h -18h
Plus d’informations sur le site.

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