Programmée à l’occasion de la « Quinzaine de la Vidéo » de la Galerie Imane Farès par Fabien Danesi, l’œuvre Sound Carving (2020) d’Abdullah Alothman a été filmée dans le désert saoudien. Cette programmation spéciale donne à voir, au sein de l’espace de la galerie, des œuvres filmées de Francis Alÿs, Ali Cherri, Larissa Sansour et bien d’autres artistes autour d’un thème simple : le désert.
Ce prisme sensoriel, géographique voire météorologique qu’est le désert permet l’explication de mondes « tectoniques ». « Chaque vertèbre est un soleil éteint », le titre même du programme, est tiré du long poème aux vers bouleversants d’Etel Adnan, Apocalypse Arabe (1980). Le désert, qu’il soit le Sahara, Atacama, spatiale ou plus largement, est pensé dans l’ensemble des œuvres programmées comme « une caisse de résonance face à des combats individuels ou collectifs ».
Sound Carving (2020) met en scène l’artiste lui-même dans un cercle captant le vent, les bruissements et agitations balayant le désert. À travers une ellipse qui mêle l’aube et le crépuscule, Abdullah Alothman se confronte aux éléments et s’inscrit dans une immensité à laquelle il est lié par l’énergie traversant le monde. Le souffle capté dans toute sa puissance devient ainsi une ode à la vie qui s’énonce dans les conditions extrêmes.
Le commissaire Fabien Danesi a interrogé Abdullah Alothman au sujet de son œuvre.
1 – Quelle fut la genèse de Sound Carving ? Était-ce un son, un lieu, une lumière, un dispositif ?
La vie commença avec la notion du son. Nous nous déplaçons au rythme de celui-ci. Une découverte majeure pour moi fut l’expérience de la mesure précise dans l’histoire de l’expérience acoustique, dans la mémoire d’un lieu et dans l’expérience humaine. L’installation repose sur cinq microphones et un cercle symbolisant le temps s’écoulant dans les montagnes de Tuwaiq. Par la suite, j’ai réalisé ma performance en enregistrant et en écoutant simultanément le son du désert à des moments différents de la journée, du lever au coucher du soleil. Dans le désert, le son changeait perpétuellement avec les variation du temps. Je tenais à respecter ce son et les étapes [de la performance], comme si je me tenais aux portes de l’univers. Le son s’avère être un guide mythique pour l’homme permettant d’aborder le temps ; il traverse les frontières, relie les mondes. C’est l’énergie infinie de l’univers.
2 – Dans la présentation de votre vidéo, vous citez William « Voir un univers dans un grain de sable, et un paradis dans une fleur sauvage. Tenir l’infini dans la paume de la main, et l’éternité dans une heure. » Votre relation avec le désert est-elle romantique ?
Peut-être. Assurément, j’y perçois de la cruauté, de l’amour, de l’extension comme de l’anticipation. Je vis dans une ville étonnante, une ville dans un désert, et je me déplace toujours en ses frontières et sa profondeur. Cette immensité comme le reflet du désert dans les miroirs des bâtiments, dans les paroles des gens, me fascinent. Les mirages amènent de l’espoir et des rêves. C’est pourquoi j’ai cherché à documenter le désert et son acoustique dans une seule œuvre, en pensant à l’origine du désert, à ses caractéristiques qui rejaillissent sur chacun en ce lieu. L’homme du désert existe depuis des siècles et a compris son acoustique comme un moyen d’anticipation et d’exploration. Et il comprend cette voix en lui-même, comme un guide indiquant la constitution des montagnes, comme une assurance au-travers des chemins et des directions. Dans chaque désert, vous entendez cette voix das le bruissement du vent, dans le souffle des dunes, et dans le bris d’une branche au loin. Ce sont des voix qui résistent à l’isolement et à la grande solitude, qui offrent à la nuit l’ouverture vers l’art, aux jours des ressources inépuisables d’énergie menant à l’avenir.
3 – Précédemment, vous avez utilisé le même dispositif dans No Touch – Torture (2015) dans laquellle vous aviez écouté 21 chansons utilisées dans les prisons de Guantanamo Bay et d’Abu Ghraib. Quel fut le contexte de production de cette performance ? Sound Carving s’inscrit-il dans la suite de cette première proposition ?
No Touch-Torture s’est construit sur un carré tracé à l’intérieur d’un plus large carré dessiné au moyen de l’acoustique. C’était le cercle du temps avec l’intervention de la nature. La première performance m’a probablement mené à me retirer dans la nature afin de créer un espace interne étendu. L’œuvre se fonde sur un acte, lui-même basé sur la expression mentale communiquant dans le même temps son message à trois niveaux différent. Le premier est le corps, la zone biologique. Le second, la forme de l’esprit, le cerveau comme sa structure mentale, qui soutient et contrôle le corps. Le dernier est la manifestation psychophysique d’un mouvement spirituel, des sentiments concrets, pouvant s’exprimer à travers le premier élément tout en affectant le second. Chacun des deux premiers éléments a sa propre conscience. Ils sont tous deux conscients de ce que l’artiste réalise.
Expérimenter une idée qui ne serait liée qu’à la seule musique s’avère très difficile, car il vous faut interagir avec ces trois niveaux dans une pièce, alors même que vous êtes confrontés à la solitude. Et cette propre volonté vous amène à découvrir dans quelle mesure vous souhaitez souffrir. Il me semble que la douleur efface la métaphore et vous aide à atteindre le point de clarté, de conscience. Je prends part à la sauvegarde de ce que l’on reçoit des cieux, de la musique.
« La Quinzaine de la Vidéo »
Une proposition de Fabien Danési
Galerie Imane Farès
41 Rue Mazarine, 75006 Paris
Ouvert du mardi au samedi, de 10 à 17 heures.
https://imanefares.com