Le photographe américain (1903-1991) a livré une oeuvre étonnante aux rives de l’expressionnisme abstrait. Une quarantaine de ses photographies sont exposées à la galerie Les Douches à Paris.
Il connaissait le langage des murs, leur incroyable expressivité, leur palimpseste d’images et de mots qui forment autant de couches successives qu’il s’est fait fort d’immortaliser. Aaron Siskind a glissé son appareil photo avec douceur et sensualité sur les parois des villes, en joueur de jazz habile, doué pour son instrument, et a réalisé des tableaux touchants, prenants, qui vous attrape l’âme dans un je-ne-sais-quoi de fort et profond. La première photographie exposée dans la galerie Les Douches est un morceau de mur où reste quelques fragments décharnés d’une affiche. On est saisi directement par le goût du photographe pour l’esthétique du vestige, de la ruine, et son sens inouï pour le capturer. À Chicago, à Mexico, à New York ou Los Angeles, Siskind s’est intéressé aux traces qui peuplent une surface et nous en a révélé toutes les aspérités.
Imaginaire
C’est à la faveur de ce qu’il appellera une « expérience picturale » que Siskind se lance, durant l’été 1943, dans une nouvelle façon de faire de la photographie. Il est alors dans le village de pêcheurs de Gloucester en Nouvelle-Angleterre et va suivre une discipline singulière : il realise chaque jour six images et travaille dans un secteur réduit. Lorsqu’il tire ses photographies l’hiver suivant, Siskind découvre « une façon de faire une image » dont il n’avait « jamais rêvé auparavant » comme il le dit dans un entretien de 1963 et il ajoute : « Eh bien, quand cela vous arrive, vous n’avez plus qu’à continuer ! ». Ainsi naîtra l’oeuvre d’un maître de l’expressionnisme abstrait qui fera de la photographie un vecteur de l’imaginaire, une porte ouverte vers le songe. À bien regarder ses images, nous sommes en prise avec des formes et le sentiment d’une matière qui éveillent notre imagination, suscitent rêves et mélancolie. Comme le miroir d’un passé, l’espace-temps d’un passage, la vie d’une trace.
Jean-Baptiste Gauvin
L’épure photographique
Jusqu’au 22 Décembre 2018
Les Douches la Galerie
5, rue Legouvé
1er étage
75010 Paris
France
http://www.lesdoucheslagalerie.com