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Sim Chi-Yin : Fallout, l’exposition du Prix Nobel de la paix

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Avec l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis et l’émergence d’autres courants politiques inquiétants dans le monde entier, le secteur des médias s’interroge. Que manquait-il au travail des journalistes, pour que ces réalités pourtant bien ancrées soient de telles surprises ? Sim Chi-Yin, journaliste devenue photographe, a démarré comme JRI avec une démarche plutôt factuelle, orientée sur le manque de justice sociale dans le monde et principalement en Chine, son pays de résidence.

Ce n’est que récemment qu’elle a commencé à questionner l’impact d’un langage documentaire trop littéral. C’était à l’occasion d’une manifestation associative aux États-Unis. « Qui sommes-nous, pour parler aux autres peuples qui rejettent le vocabulaire des droits de l’homme ? » a-t-elle demandé à ses tuteurs. « Ils m’ont regardée comme si j’étais une extra-terrestre, se souvient-elle. Nous croyons pouvoir les convaincre, mais les situations politiques récentes ont démontré que ce n’était pas le cas. Si on ne l’accepte pas, on s’aliène une grande part de la population. Depuis quelque temps, un grand nombre de libéraux, d’artistes et d’ONG se posent des questions sur nos façons de rendre compte des questions majeures de notre époque, et se demandent pourquoi nous sommes incapables de convaincre des gens qui ne pensent pas comme nous. » Déterminée à attirer l’attention des observateurs sur le travail lui-même avant d’engager la conversation avec eux, Sim Chi-Yin a ralenti son rythme et rajouté des paysages à son fil narratif.

Missionnée cette année pour réaliser l’exposition dédiée au prix Nobel de la paix, elle a été absolument enchantée d’apprendre le nom du lauréat : il ne s’agissait pas d’une personne mais d’une coalition d’ONG d’ampleur planétaire, à savoir l’ICAN, Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires. « Cette question intellectuelle a de la substance. On ne peut plus pertinente, elle se trouve sans doute éclipsée par le réchauffement climatique, mais conserve toute son actualité. Je suis allée fouiller dans tout ce que j’avais appris sur l’époque de la guerre froide. Je voulais esquisser les lignes d’un concept qui soit réalisable en deux mois, sans faire dans le déjà-vu », explique-t-elle.

C’était à l’automne dernier, alors que les concours de gros boutons nous donnaient des sueurs froides aux relents d’holocauste nucléaire. Elle a décidé alors de se focaliser sur les États-Unis et la Corée du Nord. L’Amérique est le premier pays à avoir mené des essais nucléaires, puis utilisé l’arme nucléaire, tandis que la Corée du Nord est le premier état à avoir testé ces armes depuis le début du xxie siècle.

« En octobre 2017, j’ai parcouru la frontière calme et déserte qui sépare la Chine de la Corée du Nord. Je photographiais les environs des sites d’essais nucléaires, de production de missiles et de stockage de munitions de la Corée du Nord. Deux semaines plus tard, j’ai traversé des étendues tout aussi calmes de l’ouest américain. […] J’y ai vu un radar en forme de pyramide, dont l’œil surveille tout, ainsi que les cratères laissés par les essais, dans la chaleur incandescente du désert du Nevada. Je suis entrée dans des silos à missile, je me suis extirpée de bombardiers par la trappe de secours et j’ai erré dans les centres de commandement et de contrôle datant de la Guerre Froide. […] à chaque visite, j’ai ressenti la beauté et le poids de ces paysages et de ces machines silencieuses », écrit-elle dans un essai qui accompagne son travail.

Profondément marquée par les parallèles visuels et historiques entre ces deux points du globe, elle a commencé à organiser ses paysages en diptyques grand format et créer une double vidéo : propice à la réflexion, son court métrage de 3 minutes et 40 secondes comporte des séquences d’archives sonores qui vont de l’étrange crépitement des compteurs Geiger aux discours de John F. Kennedy et de Donald Trump, en passant par les chants de propagande Nord-Coréens et des signaux d’alertes anxiogènes.

Il semble clair aujourd’hui que nous avons échoué dans nos principes de communication. La réponse de Sim Chi-Yin emprunte à la poésie ainsi qu’à l’abstraction. Ses photographies d’installations désaffectées et de sites abandonnés sont révélatrices de notre façon paradoxale de penser la question nucléaire. Avec leur architecture soviétique et leurs lignes datées, ces structures semblent à première vue démodées et rappellent les décors des premiers films de James Bond.

À y regarder de plus près toutefois, elles présentent des signes d’activité qui font office de sirène d’alarme. Le nucléaire peut nous paraître comme une réalité datant de la Guerre Froide. Il représente pourtant toujours un danger qui nous menace bel et bien. L’artiste se refuse à nous soumettre un discours partial et nous laisse tirer nos propres conclusions, tout en nous livrant ces constructions grandioses et troublantes. « C’est une question si polarisante, dit Sim Chi-Yin. Qui a le droit de pointer du doigt qui que ce soit ? J’essaie d’amener les gens à se poser des questions, et se faire une opinion sur la question suivante : est-il bon ou non d’avoir des armes nucléaires ? ».

Même si son travail est exposé et sera très certainement présenté à d’autres endroits, elle n’en a pas fini de ce sujet, et conserve la ferme intention de poursuivre sa démarche sur les années à venir. Entretemps, un autre de ses projets à long terme se trouve ce mois-ci à Singapour. Initié en tant que travail historique de famille, il comprend des photos, des transmissions orales, du matériel d’archive, des objets, des films, des chansons et des textes. Pris dans sa globalité, il représente une enquête sur des pans cachés de la Guerre Froide et de l’ère coloniale britannique en Asie du Sud-Est.

 

Laurence Cornet

Laurence Cornet est journaliste spécialisée en photographie et conservatrice indépendante. Elle partage sa vie entre New York et Paris.

 

 
Sim Chi-Yin : Fallout, l’exposition du Prix Nobel de la paix
2017 – ICAN
Nobel Peace Center
Brynjulf Bulls Plass 1
0250 Oslo
Norvège

https://www.nobelpeacecenter.org/en/pressbriefing/#/pressreleases/visual-artist-sim-chi-yin-is-this-years-nobel-peace-prize-photographer-2317920

www.chiyinsim.com

Relics: Phan Thao-Nguyen, Sarker Protick and Sim Chi Yin
19 janvier – 1er avril 2018
The Esplanade Co Ltd
1 Esplanade Drive
Singapore 038981

https://www.esplanade.com/festivals-and-series/visual-arts/2018/relics?FestivalNames=2018&Start=20180105

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