Pour ce septième épisode, nous vous présentons l’édition 2002 du Prix HSBC pour la photographie (à l’époque appelé le prix de la Fondation CCF pour la photographie) dont l’éditeur français Robert Delpire cette année là était le conseiller artistique. Les deux lauréats 2002 sont le britannique Rip Hopkins, et la française Laurence Demaison. Nous avons interrogé Rip Hopkins, sur cette expérience, qui a incontestablement eu une influence sur ce qu’il est devenu depuis.
Dans le cadre de la rétrospective des 20 ans du prix HSBC pour la photographie, L’Œil de la Photographie vous présente chaque semaine 2 épisodes et vous fait ainsi découvrir ce que sont devenus les lauréats qui ont écrit l’histoire de ce prix.
L’Œil de la Photographie : Le prix HSBC pour la photographie fête ses 20 ans. Il est remis chaque année à deux artistes pour les aider à développer un projet et fait l’objet d’une exposition et d’une monographie, souvent la première. Comment avez-vous vécu cette expérience ?
Rip Hopkins : Lorsque j’ai reçu le prix, il y a eu deux choses importantes pour moi, tout d’abord la reconnaissance bien évidemment ensuite la dotation financière du prix m’a permis de produire un autre travail intitulé « Déplacés » sur les populations forcées à l’exil par Staline en Ouzbekistan, qui a d’ailleurs été édité par la suite chez Textuel. Le Prix a donc été pour moi un premier tremplin financier pour produire une nouvelle série rapidement après ma nomination. Et surtout cela m’a permis d’avoir une côte sur le marché. J’avais reçu d’autres prix auparavant, et j’avais donc pu intégrer une galerie parisienne. Grâce au Prix CCF j’ai accentué ma visibilité sur le marché et pu faire de nombreuses rencontres, comme Catherine Dérioz de la galerie du Réverbère à Lyon qui me représente aujourd’hui et avec qui je travaille en étroite collaboration.
Au niveau des expositions et du livre, ce que j’ai le plus apprécié c’est tout le travail d’équipe avec Chantal Nedjib qui était chargée du Prix à l’époque et Christine Raoult. D’ailleurs c’est à l’occasion del’exposition à Lyon que j’ai pu, pour la première fois, travailler avec Catherine Dérioz. L’autre belle rencontre a été la seconde lauréate de cette année là, Laurence Demaison. Pendant un an, on se voyait tous les mois, on était un peu comme les compagnons du devoir.
Avec le recul, cette expérience m’a permis d’assumer mon travail en tant qu’auteur. Avant j’avais un profil de photojournaliste, c’était donc la première fois que je m’assumais en tant qu’artiste. Lorsque j’ai écris le texte pour la monographie, je devais parler de ma propre expérience de prise de vue et aussi de mes motivations. Cela m’a beaucoup aidé à me positionner par rapport à mon travail et à la façon dont je le véhiculais, dont j’en parlais aux autres….
LODLP : Pouvez-vous nous parler du projet qui a été récompensé ? Le prix a-t-il eu une influence sur votre création depuis ?
R. H. : C’est un projet qui s’appelle « Tadjikistan Tissage ». j’avais pu le réaliser grâce à la Bourse de la Fondation Lagardère, remporté 2 ans auparavant. A l’époque je faisais des films et des reportages documentaires principalement sur des missions de Médecin Sans Frontières. Grâce à cette bourse, c’était la première fois que je réalisais un travail personnel.
Le Tadjikistan est composé de plusieurs ethnies différentes qui s’expriment à travers le tissage, et pour estomper cette vieille tradition de tissage de tapis ethnique, Staline a mis en place une usine qui les fabrique à 1$ pièce ! En inondant le marché de tapis à bas prix, il noyait ainsi et faisait disparaître du même coup ces traditions. Au Tadjikistan, il y a des tapis absolument partout: c’est une bonne manière d’isoler et de décorer les maisons, et c’est moins cher que de la peinture. Visuellement tous ces tapis, faisait écho à de propres souvenirs d’enfance: J’ai grandi dans une maison qui, elle aussi, était remplie de tapis…
Le prix a consolidé ma démarche et m’a encouragé à faire des sujets qui étaient liés à ma propre histoire, et à l’assumer. Je choisis toujours des sujets qui me sont proches.
LODLP : Outre la publication d’une première monographie, quel impact le prix a-t-il eu sur votre carrière ? Aujourd’hui encore quels sont vos rapports avec HSBC ?
R. H. : Au moment de ma nomination, j’étais dans un moment de doute. Je pensais même me reconvertir et devenir médecin. Je travaillais beaucoup avec MSF et j’avais pris la décision d’arrêter la photo pour faire médecine. Si je n’avais pas eu ce prix, je serai peut être médecin à l’heure où je vous parle, peut-être un très mauvais médecin d’ailleurs (rires).
En ce qui concerne les relations que j’entretiens avec HSBC, Christine Raoult m’envoie du chocolat chaque année à Noël, et c’est une attention que j’apprécie beaucoup (rires), mais plus sérieusement, nous nous parlons au téléphone de temps en temps pour se donner des nouvelles, il y a un vrai suivi.
« Trop souvent on ne connaît du Tadjikistan que sa production d’héroïne et la guerre civile qui y fait rage depuis l’indépendance, il y a dix ans. C’est à n’en pas douter la plus petite et la plus pauvre des républiques d’Asie centrale. La difficulté d’accès, l’insécurité, d’incessants conflits inter-ethniques y rendent tout déplacement délicat.
Rip Hopkins y a passé deux mois, parcouru 13000 kilomètres à pied, à cheval ou en voiture.
Les images qu’il a rapportées montrent les hommes plus que les paysages. Sans effet facile, sans céder à l’exotisme, calmes malgré la constante proximité de la guerre, elles baignent toutes, paysages et vues d’intérieur, dans une lumière qui met en valeur les couleurs que ces populations affectionnent. C’est à une modestie de l’approche, à une sympathie que Rip Hopkins a su générer, que l’on doit une série d’images qui « parlent » d’un monde qui nous était inconnu plus encore qu’elles ne le montrent. »
Robert Delpire – Conseiller artistique 2002
LIVRE
Tadjikistan Tissage
Monographie Rip Hopkins
Editions Actes Sud
ISBN : 2-7427-3977-7
21,34€