Pour l’année 2012, c’est à l’historien et commissaire d’expositions espagnol Rafael Doctor Roncero d’endosser le rôle de conseiller artistique pour le prix HSBC. C’est à lui qu’incombe la préselection des 12 dossiers afin de choisir les deux lauréats. Cette année là, se sont la jeune photographe britannique Leonora Hamill et le français Eric Pillot qui remportent l’édition du Prix HSBC pour la Photographie ! Aujourd’hui, pour ce nouvel épisode, nous avons interrogé les deux lauréats sur leur expérience vécue il y a 3 ans.
L’Oeil de la Photographie : Le prix HSBC pour la Photographie fête ses 20 ans. Il est remis chaque année à deux artistes pour les aider à développer un projet et fait l’objet d’une exposition et d’une monographie, souvent la première. Comment avez-vous vécu cette expérience ?
Eric Pillot : C’était une chance de recevoir ce Prix. Les tirages sont importants pour la photographie telle que je la pratique, ils en constituent l’aboutissement, et c’était un grand plaisir de pouvoir les exposer dans d’excellentes conditions. Ce n’est pas rien non plus d’assister à l’impression de son premier livre. J’ai donc passé une année dense et forcément marquante. La reconnaissance que constitue ce Prix était peut-être également particulièrement satisfaisante pour moi, dans la mesure où je ne venais absolument pas du « sérail », ni du milieu de la photographie, ni des écoles d’art.
LODLP : Pouvez vous nous parler du projet que vous avez présenté ? Quel impact le prix a-t-il eu sur votre vie artistique ?
E. P. : J’avais proposé le début d’un projet au long cours, « In Situ », que je poursuis toujours et prolonge en ce moment dans une autre culture, aux Etats-unis, dans le cadre du Prix de photographie Marc Ladreit de Lacharrière – Académie des Beaux-Arts qui m’a été attribué il y a quelques mois. Je photographie de façon poétique l’ « ami-animal » dans l’architecture des parcs zoologiques, sans retouches, ni montages. Dans le domaine des sciences humaines, les réflexions sur l’animal ont pris une place de plus en plus importante depuis une vingtaine d’années : elles peuvent nous aider, je crois, à mieux penser l’homme, à un moment où il est important pour lui de se préoccuper de la nature.
D’un point de vue personnel, l’année du Prix HSBC pour la photographie constitue une étape, qui permet de me dire : « Tiens, à ce moment-là, j’en étais là. » et de mieux réfléchir à la suite de mon travail. Les prolongements du Prix sont par ailleurs nombreux : outre l’accès à un public plus large, il a permis de consolider le travail qui avait été entrepris par la galerie Dumonteil, avec laquelle je travaillais déjà et qui montre très régulièrement mon travail, notamment en Asie. « In Situ » sera exposée en juillet également à Melbourne à la galerie William Mora, et mon nouveau livre « In Situ 2 » vient d’être édité par les éditions La Pionnière.
LODLP : Comment HSBC vous a-t-elle accompagnée tout au long de cette aventure ? et aujourd’hui, quels sont vos rapports ?
E. P. : Il s’agit d’un accompagnement bienveillant, et attentif aux souhaits du photographe. Je garde des liens amicaux avec Christine Raoult et Catherine Bazou, qui sont les « piliers » de ce Prix, et je reste en contact avec Chantal Nedjib, qui en avait été la bien inspirée fondatrice. Nous avons tourné il y a peu une vidéo ensemble, sur le début de ma nouvelle série de paysages, « Horizons ». Et je suis attentivement chaque année le travail des nouveaux lauréats.
“Pour nous faire accepter un point de vue aussi original, Eric Pillot construit ses images à mi chemin entre la photographie d’architecture et les estampes japonaises. De la première, il garde la préoccupation des formes, des ombres et des lumières, et le sens de la construction. Quant aux secondes, elles semblent lui inspirer la manière de disposer son animal dans le décor à la façon d’un accessoire, comme une broche sur un vêtement ou une mouche sur un visage. A-t-il eu recours aux immenses possibilités du numérique pour modifier la taille et la position des divers éléments qu’il met en scène ? Ou bien a-t-il réussi à trouver à chaque fois la distance juste ? Peu importe. Le numérique a tendance à tout traiter de la même manière, et Eric Pillot transforme cette caractéristique en esthétique. Il écrase les reliefs, traite les ombres comme des dessins à part entière et transforme objets, êtres et lumières en autant de lignes et de surfaces diversement colorées.
Mais en même temps, les animaux qu’il a photographiés semblent nous attendre pour s’animer. Comme des acteurs de Kabuki déjà présents sur la scène avant que le public ne se soit installé, et qui attendraient que la salle soit comble pour commencer leur spectacle. Alors que le numérique permet de fixer le mouvement, Eric Pillot fixe l’immobilité. Mais ne nous y trompons pas. Les acteurs de sa pièce ne sont pas pétrifiés dans un passé arrêté et à jamais révolu, ils sont immobilisés en attente de ce qui les animera, comme autant de « belles au bois dormant ». Leur posture figée ne témoigne pas d’un « ça a été », selon la célèbre formule de Roland Barthes que la bêtise ambiante a érigée en dogme, creusant du même coup un quiproquo de trente ans entre les praticiens de la photographie et ses prétendus théoriciens. Ils nous disent au contraire : « Encore un instant, soyez attentifs, nous allons nous animer… »
Nous comprenons mieux maintenant pourquoi les animaux d’Eric Pillot sont comme lyophilisés. Ils nous attendent. Mais ce n’est pas une mesure de liquide que nous sommes conviés à leur ajouter pour qu’ils s’animent. C’est une mesure d’empathie.”
Serge Tisseron, Préface du livre [Extrait]
LIVRES
In Situ
Eric Pillot
Actes Sud / Prix HSBC pour la Photographie
Sortie en juillet 2012
22,0 x 28,0 / 104 pages
ISBN 978-2-330-00998-4
20,00€
In Situ 2
Eric Pillot
éditions La Pionnière
64 pages sous couverture rempliée
Format : 24 x 34 cm
Tirage limité à 400 exemplaires
49,00€