Dans la troisième ville du pays, voilà déjà deux décennies qu’un événement dédié à la photographie attire un public varié et curieux. Cette année, pour l’édition anniversaire, le fondateur et directeur du festival Krzysztof Candrowicz a choisi comme thème tout simplement sa ville natale.
Łódź est une ancienne ville industrielle qui s’est développée autour du textile à la fin du XIXème siècle. D’un village, elle est devenue un temps la deuxième cité de Pologne, très peuplée par une communauté juive qui a été massivement déportée et décimée par le régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale. Jouant quelques années le rôle de capitale à la place de Varsovie après guerre, elle a connu depuis un léger déclin de sa population et a trouvé notamment dans la vie culturelle un moyen de rester dynamique. Le festival photo inventé par le commissaire d’exposition et directeur artistique Krzysztof Candrowicz s’inscrit pleinement dans ce mouvement, investissant les anciennes zones industrielles réhabilitées de la ville. Il se déploie naturellement dans les vieilles usines devenues de pimpants centres d’art, apportant un air de fête et de candeur en ces derniers jours de juin.
Friches
Cette année, pour célébrer deux fois dix ans, Krzysztof Candrowicz et son équipe ont décidé d’exposer au rez-de-chaussée du bâtiment central où se déroule l’événement, des photographies reliées à la ville même, du passé industriel à la question actuelle des zones en friche. Il était touchant de voir des habitants de Łódź le soir du vernissage regarder avec curiosité et émotion des images des usines d’antan réalisées par un certain Wiktor Jekimenko, cet univers d’immenses bâtiments en brique et de cheminées fumantes partout dans la ville, qu’ils auraient presque oublié sans ces témoignages visuels directs et forts. À côté, les délicates vues d’Artur Urbański révèlent les espaces vagabonds d’après guerre, les failles dans les murs épais, les cours abimées par des années d’instabilité politique et économique, mais où demeure l’élan vital des habitants qui peuplent malgré tout ces espaces. Plus loin, le travail de Maciej Rawluk questionne le devenir des usines abandonnées, se plaisant notamment à pointer les dimensions ubuesques de la nature revenue.
Dolce vita
Il est vrai qu’à Łódź la végétation est reine, comme une sorte de victoire de la planète sur toutes activités humaines passées. Ce climat très doux et vert, évoquant par instant ce que nous pourrions appeler une « dolce vita de l’Est », est un écrin parfait pour regarder avec attention des travaux d’auteurs venus des quatre coins du monde. Ainsi, à l’étage, on pourra s’arrêter allègrement sur les images de Federico Estol qui a mis à l’honneur une communauté de cireurs de chaussures en Bolivie et développe une réflexion très intéressante sur la nécessité de l’engagement du faiseur d’images, redistribuant l’argent récolté à celles et ceux qui ont permis la naissance de cette œuvre, les modèles photographiés. Non loin de là, les photographies du belge Colin Delfosse questionnent nos représentations de la pauvreté en Afrique ainsi que le passé des pays colonisateurs, ici en particulier la Belgique, avec des portraits aux aspects théâtraux qui suscitent tout autant le sourire que la réflexion. Les lectures de portfolios ont aussi permis à de jeunes photographes, dont une partie polonais, de présenter leurs travaux en cours et d’en récolter l’avis de commissaires d’exposition et critiques d’art.
Totalitarisme
Mais l’émotion la plus forte du festival cette année, sans qu’elle fût réellement prévue et certainement pas voulue, était l’accueil du « Mois de la photo de Minsk ». Interdit dans son pays, l’événement est comme exilé ici, en une forme de rescapé de l’immense mouvement de contestation politique et sociale qui a eu lieu en Biélorussie depuis l’automne dernier après le refus du dictateur en place de reconnaître le vote démocratique. Les images de ce pays d’Europe qui est en train de vivre les aspects les plus sombres du totalitarisme montrent combien toute expression humaine, dans sa richesse et sa sincérité, est un rempart à l’aveuglement des bourreaux et des fascistes, véritable cri dans la tranquillité de Łódź.
Jean-Baptiste Gauvin