Dans une grande partie de votre travail vous avez recours à la photographie aérienne. Comment en êtes-vous arrivé à réaliser ce type de photographies?
J’ai commencé à faire des vues aériennes il y a environ 20 ans, quand j’ai passé le brevet de pilote d’hélicoptère. Le fait de faire de la photographie aérienne représente pour moi la combinaison de deux rêves, car en plus d’avoir toujours voulu voler, je rêvais d’être photographe. Au début, je réalisais des vues aériennes plutôt pour des travaux commerciaux, mais je profitais toujours des vols que je faisais pour des commandes pour faire quelques photos pour moi. Puis j’ai commencé à faire des vols en hélicoptère uniquement pour photographier ce qui m’intéressait.
Quels sont justement les thèmes qui vous intéressent, et quelle vision du monde voulez-vous donner à travers les vues aériennes que vous construisez à partir de la combinaisons de vos photographies prises depuis les airs?
Après plusieurs années à voler en hélicoptère, j’ai commencé à avoir une perception différente du monde, à voir beaucoup de choses que l’on ne voit pas forcément depuis le sol. Par exemple, le fait que les plus grandes villes du monde sont toutes entourées d’une quantité incroyable de dépôts de ferraille ou de casses de voitures. Beaucoup de déchets produits par les humains sont très difficiles à recycler ou à faire disparaitre; l’on n’arrive pas à digérer tout ce que l’on produit aujourd’hui, et tout cela prend des proportions effrayantes. Ce que je tente de montrer dans mon travail c’est cette accumulation produite par l’humanité, les excès qu’elle génère pour continuer à entretenir un certain mode de vie, à vivre dans un certain confort. En réalisant des montages à partir de mes prises de vues aériennes, je créé des photographies d’amoncellements de voitures, d’avions abandonnés, de camions de fruits, de plages bondées de monde…
En novembre dernier vous avez sorti le livre Aeroporto, qui est réalisé à partir d’une seule image. Pouvez-vous nous raconter l’histoire de cette image?
L’un des thèmes qui m’intéressait particulièrement lorsque je réalisais des vues aériennes était les aéroports. Dès que j’en survolais, je photographiais systématiquement les avions. Je réalisais les prises de vue depuis un angle à 90 degrés, exactement comme les images produites par les satellites. J’ai donc commencé à avoir une grande « collection » de photos d’avions de différentes compagnies, ainsi que de tous les équipements des aéroports. C’est à partir de cette matière que j’ai ensuite commencé à monter, à construire le travail Aeroporto, qui est une image unique. J’ai mis un an pour faire cette image. Après avoir photographié plusieurs aéroports, leurs équipements et les avions depuis le ciel, il a fallu penser et élaborer un plan de l’aéroport fictif que j’allais construire, puis monter tout cela numériquement; étape qui a représenté 800 heures de travail sur ordinateur…
Comment est née l’idée de faire un livre à partir de cette photographie, et comment avez-vous pensé la forme qu’allait prendre cette image monumentale (le tirage original mesure 5 mètres de long) dans un livre?
La photographie Aeroporto est un travail très riche en détails, puisqu’elle est faite à partir de près de mille photographies montées ensemble. Il est donc nécessaire de la montrer en grand format pour qu’elle soit vue dans toute son ampleur et que les détails soient visibles. Si l’image avait été réduite à la taille d’une page de livre, on allait perdre tous les détails, mais aussi l’échelle du travail. Alors nous avons décidé avec l’éditrice et la designer du livre de garder cette échelle, et de fragmenter l’image, en suivant un découpage précis, pour la transposer dans la forme du livre. Ce découpage est fait de manière si minutieuse qu’il est possible (ce qui implique alors bien sûr de détruire le livre) de reconstituer une photographie de trois mètres de long au mur; une échelle semblable à ce que j’avais conçu originellement pour cette image.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment, ou quels sont vos projets futurs?
En ce moment je travaille sur les forêts brésiliennes. Pour créer mes images, je m’inspire des artistes européens arrivés au Brésil au 19ème siècle, qui étaient chargés de représenter le Brésil dans le cadre de missions artistiques. Ils utilisaient la peinture, à l’aube de la naissance de la photographie, et restituaient l’exubérance de la forêt tropicale qu’ils découvraient alors, et dont ils ne possédaient encore aucune référence visuelle. 200 ans après ces représentations produites par des regards étrangers, j’essaie en abordant le même sujet de retrouver l’aspect pictural de leurs images, tout en utilisant les technologies actuelles. Je photographie puis traite mes images de telle manière que le rendu évoque les lithogravures de l’époque. Finalement, le fait de me pencher aujourd’hui sur les territoires encore intacts, la nature encore vierge, c’est presque un retour aux origines, un travail de purification après toutes ces années à travailler sur les excès de l’humanité.