Stephan Crasneanscki est un observateur attentif. Il parcourt le monde et multiplie les projets qui prennent très souvent source dans la réactivation de la mémoire d’hommes illustres à travers les lieux qu’ils ont sillonnés.
Oeuvre composite, « What we leave behind » le conduit à poser son regard sur ces objets, détenteurs d’une matière à penser en attente d’être dévoilée, que sont les archives de Godard qu’il a redécouvertes, presque par accident et qui ont été oubliées, voire délaissées… Par la vidéo, le son et la photographie Stephan Crasneanski convoque un imaginaire lié à la pensée de Godard et restitue une expérience qu’il nous invite à partager.
What we leave behind
(Ce qu’on laisse derrière soi)
Un plateau de cinéma. Des sons qui n’ont jamais vu le jour et ne sont jamais sortis de ces moments, derrière la caméra, devant des acteurs dans l’invention d’un plan, d’une image. Stephan Crasneanscki a eu accès à des fragments de sons issus des tournages des films de Jean-Luc Godard, mais également à toute une documentation, un témoignage de ce qui a nourri le cinéaste.
« What we leave behind » est aussi un portrait du cinéma contemporain une réflexion sur l’archive, une libre réinvention par le montage, le collage, de moments de cinéma nés d’une collision entre littérature, arts visuels et musique que Godard fut le premier à rassembler.
L’artiste observe donc, recompose et invite à son tour à percevoir.
Être, c’est être perçu nous dit Berkeley et l’être des objets est d’être perçu, comme celui des sujets, de percevoir.
Des bobines de films, des livres, des feuillets d’écriture, des cassettes vidéo, un amoncellement d’informations, des indices qui s’offrent à son regard et évoquent aussi une mémoire du cinéma au regard de ses différents supports.
Par le film, le son et la photographie Stephan Crasneanski convoque un imaginaire lié à la pensée de Godard et restitue une expérience.
Il livre des indices et questionne :
Un arbre qui tombe dans la forêt, fait-il du bruit s’il n’y a personne pour l’entendre?
Est-ce l’esprit qui crée ce qu’il observe ? Alors privé de l’observation, que se passe-t-il ? Des archives plongées dans un interminable silence ?
Que laisse entrevoir une bobine laissant apparaître l’inscription « Nouvelle vague » ? Un nouveau cinéma, une révolution ? Un livre ouvert sur une époque, un témoignage à la fois poétique et sociologique ?
Il y a bien évidemment les initiés, ceux qui ont vu.
Ceux qui sont capables de décrypter et d’appeler au surgissement les images de ces films.
Il y a l’œil photographique de Crasneanscki qui réactualise alors une mémoire.
Mais il y a aussi une force imaginante, une création comme une re-(é)-création d’œuvres-mosaïques qui forment des brèches et ouvrent un monde à découvrir.
Citations, paraphrases, copies ne sont-elles pas souvent les clés dont usent d’illustres créateurs ?
Julien D’Abrigeon établit que l’« on retrouve des similitudes esthétiques entre (Picasso et Godard) ces deux «colleurs», une même perception fragmentée du corps, du monde retranscrite dans leurs représentations, un même désir de description totale, englobante, une même utilisation des aplats, de la trichromie (Le mépris…), et du noir et blanc (Guernica, bien sûr) mais aussi, une utilisation récurrente des rayures : Jacqueline aux mains croisées (1954), et les rayures de Michel et Patricia dans « A bout de souffle », le peignoir d’Angela dans « Une femme est une femme », le chandail de B.B. dans « Le mépris », etc. (Godard serait-il un précurseur de Daniel Buren ?). »
Le cinéma de Godard se conçoit dans un ensemble et il n’exclut aucun art de ses projets.
«Godard, c’est Delacroix.», s’émerveillait Aragon qui avait compris que le cinéma est aussi un art plastique, relève encore Julien D’Abrigeon.
Les compositions minimalistes de « What we leave behind » viennent aussi évoquer une histoire de l’art abstrait ; Donald Judd, Malevitch ou même Sol Lewitt avec une Progressive Structure. C’est encore cette matière à penser, ces archives oubliées qui se réarticulent dans une mise en abime du collage et de la citation.
C’est une œuvre complexe, celle de Godard, mais aussi les œuvres de nombreux artistes, qui se télescopent et que Crasneanscki nous invite à explorer. Les empilements de cassettes vidéo « Soigne ta droite » marqués au feutre noir sont-ils le clavier d’un piano, l’évocation d’un univers lié à la musique ou le rappel d’un engagement politique qui a peut-être fait écran à celui de l’artiste ?
Et se souvenir de « Lotta continua », une formation politique maoïste, communiste et révolutionnaire avec l’image d’un homme, levant une arme, entouré de compagnons dont l’inscription « Lotta continua » surgit d’une composition de boîtes d’un sombre pourtant rompu par un éclat de rouge.
Godard est le point de départ, celui qui a lu, écouté, regardé, créé et qui conduit ainsi Stephan Crasneanscki à poursuivre un cheminement afin de révéler et de construire un jeu avec cette matière vivante qu’est la mémoire…
EXPOSITION
Stephan Crasneanscki, What we leave behind
Jean-Luc Godard’s archives
Du 9 janvier au 27 février 2016
Galerie Odile Ouizeman
10/12 rue des Coutures St Gervais
75003 Paris
France
+ 33 1 42 71 91 89
[email protected]
http://www.galerieouizeman.com