On connaît bien les Sand Dunes de Shoji Ueda, ces mises en scène à tonalité surréalisante dans les dunes de sable de sa région natale de Tottori, débutées dans les années trente. Des enfants en déséquilibre ; lui portant un chapeau melon et tenant un ballon flottant au bout d’un fil pour un autoportrait étrange ; sa femme en kimono dans le désert, entre autres. Et l’on a tendance à le réduire à cette imagerie.
Le nouveau livre que lui consacrent les jeunes éditions Chose Commune évite cette série et l’évoque juste en citation. Il ne s’agit pas d’une posture mais, beau propos éditorial, de plonger sans a priori dans une œuvre en marge, singulière, inclassable, traversée par de permanentes recherches.
Ayant eu accès, durant à peine trois jours, à 5 000 tirages originaux, Cécile Poimboeuf- Koizumi et Vasantha Yogananthan se sont laissés porter par leurs surprises et nous les font partager. Ils composent ainsi un portrait rare d’un personnage atypique, un « amateur » comme il en exista tant au Japon autour des clubs qu’il fréquenta et anima largement et qui, sans jamais se rapprocher d’aucun des grands mouvements qui traversèrent la photographie nippone, accumula, de séries en séries, un questionnement très personnel du temps, de la mise en espace et même de la couleur.
C’est certainement cet aspect qui est le plus surprenant. D’abord avec des natures mortes de fruits – grenades, arachides – qui rythment un volume marqué par le découpage en saisons que le photographe entreprit après la disparition de son épouse. Relation à la fois contemplative, précise et héritière du collage à un univers réduit, immédiat, symbolique et étonnamment tendu entre réalisme apparent et propension au rêve qui fait flotter au dessus d’un paysage de mer des cacahuètes colorées de bleu et rouge. Puis, dans une esthétique totalement différente, avec un extrait, en fin de volume, de la série Brillant Scenes pour laquelle le photographe pratique un flou vibrant, mystérieux, lumineux, en écho thématique à ses images d’enfant, une esthétisation pictorialiste du monde qui transforme en tableau un court de tennis ou fait trembler sous le vent des épis de blé dorés. On connaît peu d’exemples comparables d’exploration de la couleur comme matière.
Si les enfants occupent une place particulière dans les noir et blanc des paysages, des vues de ville, des cadrages énigmatiques nous entrainent vers une poésie du quotidien qui souligne avec élégance l’acuité du regard. Aucun systématisme, des distances qui semblent s’accorder à chaque fois à la situation pour déjouer nos conventions visuelles, des stridences lumineuses ou des détails qui apportent une énigme au banal ponctuent ce parcours terriblement singulier.
Contrairement à la plupart des photographes japonais de son époque, Ueda n’a pas été un grand auteur de livres. Il était davantage lié aux revues, à la diffusion des images dans des supports destinés aux amateurs. Ce volume, remarquablement réalisé avec ses choix de papiers différents et des choix graphiques d’autant plus pertinents qu’ils savent se faire oublier ouvre sur une nouvelle lecture d’un photographe en marge, d’une œuvre irréductible aux grands mouvements de la photographie, japonaise ou internationale. Il donne envie de voir une grande exposition de Ueda Shoji, qui, dépassant le bonheur de le suivre dans les dunes familières, questionne le processus de création inventant un univers transcendé à partir des bribes du quotidien le plus immédiat.
Christian Caujolle.
LIVRE
Short story by Toshiyuki Horie
Design graphique : Atelier Pentagon
188 pages
90 couleurs
22 cm x 29 cm
Trilingue : Anglais, Français, Japonais
1200 exemplaires
Date de publication : Octobre 2015
ISBN : 978-2-9548777-1-6
60€
Edition spéciale 30 coffrets
Chaque coffret est vendu avec l’une des trois éditions limitées imprimée sur papier de qualité, tamponné et numérotée au verso.
450€