Dans cette chronique hebdomadaire, Antoine Soubrier, présentera sa sélection parmi les nombreuses « publications » photographiques. Livres, magazines, revues et fanzines photo connaissent depuis quelques années un essor incontournable. Il témoigne pour une part du statut grand public de la photographie aujourd’hui, qu’on veut pouvoir se procurer sans être contraint de payer le prix d’un tirage, et pour une autre, du choix d’artistes visuels d’isoler leur production du flux des images sur Internet et de les fixer sur papier, en réanimant l’attrait de la rareté par des tirages limités tout en apportant un grand soin à des productions qui oscillent entre savoir-faire de pointe, comme chez l’éditeur Steidl, et pratiques à la limite de l’artisanal.
Ce qui sera notre critère principal c’est le soucis d’une publication rare, par son nombre d’exemplaires, son contenu exceptionnel et ciblé, la singularité de l’édition (papier, maquette…), ou la qualité de ses intervenants – parmi lesquels, on le verra, se trouvent les grands artistes visuels de demain.
Chroniques de publications, interview d’artistes ou d’éditeurs, reportages… Zineland s’attachera à rendre compte de la vitalité de ce champ d’exploration de la photographie aujourd’hui.
Un demi, numéro 5
½ est un fanzine fait maison par quatre artistes visuelles éclatées entre Amsterdam, Berlin, Paris, Rennes et Vienne : Laure Boer, Anne-Pauline Mabire, Lucie Pindat et Chloé Thomas. Chaque numéro est tiré à 200 exemplaires numérotés, d’un format A5 qui compte une cinquantaine de pages.
On pourrait résumer tout l’enjeu des petits recueils et fanzines d’images à la recherche du juste équilibre entre un format léger qui permette une publication sans trop de moyens et la singularité du format, qui fait sa densité ; le risque serait en effet de disparaitre, vite oublié, dans la masse des fanzines à petit tirage.
Un demi remplit parfaitement cet objectif ; dès les images sauvages et crayonnées de sa couverture amidonnée s’établit un contact riche qui promet de laisser une trace. A l’intérieur, un mystère qu’on aurait tort de vouloir trop éclaircir ; des images peintes ou photographiées de textures et de décors naturels. Des scènes sous-marines et des cristaux, puis des blocs montagneux en photo d’un côté, en esquisse de l’autre.
Peu d’êtres humains, mais l’impression d’assister à une collecte, minutieuse et sur papier velouté, d’indices quant aux secrets de la matière du monde. Un extrait des Clochards Celestes de Jack Kerouac (1958) présenté dans un mini-livret puis des images rassemblées dans une petite enveloppe confirment cette impression de correspondance du lecteur de ce numéro d’Un demi avec l’esprit en éveil de ses auteurs. Les photographies présentées, d’esthétique contemporaine, jamais de même taille au long du fanzine, créent l’étonnement à chaque page grâce aux choix de maquette ; on passe du noir et blanc à la couleur et de la nature morte à l’image d’archive dans un flux ininterrompu de ruptures et de tranquilles évidences, toujours liées à un rapport organique au monde, mais sans que jamais l’écrit ne vienne l’expliquer.
La force d’Un demi vient sans doute du caractère intégré de sa fabrication, de la conception à la publication, entre les quatres artistes qui en sont les auteurs. On s’y arrête longtemps, le garde en tête et ne le referme qu’à regret dans l’espoir de bientôt mettre la main sur l’autre demi.
Antoine Soubrier
Un demi
25 euros.