Une photo « cinématographique » gagne le prix World Press
L’éclairage sophistiqué de la photo de Paul Hansen relance le débat sur la retouche des images.
Parmi les deux conflits brûlants de 2012, ce n’est pas la Syrie, mais Gaza qui a remporté le premier prix dans la catégorie Spot News (actualité) du World Press Photo, le prix le plus prestigieux du photojournalisme. La photo de l’année, signée du Suédois Paul Hansen, est un travail assez classique pour cette compétition, qui met en général en avant des images choc et pleines d’action. On y voit les funérailles tragiques de deux enfants palestiniens, deux frères de deux et quatre ans, tués par un missile lancé sur leur maison à Gaza en novembre 2012. Ce sont les oncles des enfants qui portent les corps, leur père ayant également été tué dans l’attaque.
Si le sujet (les funérailles), la manière et le lieu ne sont pas particulièrement surprenants, en revanche on peut être frappé par la lumière sophistiquée qui baigne toute la scène. « Par l’éclairage, par la façon dont elle est construite, on dirait une affiche de cinéma » confirme la photographe Véronique de Viguerie, qui faisait partie du jury cette année. « Elle est tellement parfaite qu’on a l’impression que les gens sortent de l’image pour dire : ‘regardez ce que vous avez fait’ ».
Le contraste prononcé et l’éclairage travaillé de cette image n’ont pas manqué de relancer le débat sur la question de la retouche des images par le logiciel photoshop dans le photojournalisme. Lors de la conférence de presse, le président du jury, Santiago Lyon de Associated Press, a été interrogé à ce sujet, et il s’est contenté de répéter les règles -pour le moins floues – du concours : « nous nous sommes assurés que les images retenues étaient conformes aux pratiques acceptées par la profession ». Il a reconnu que certaines images, jugées trop travaillées, n’avaient pas été retenues – mais il a refusé de dire combien. Véronique de Viguerie explique que le sujet a été âprement débattu: « le jury a eu des discussions assez longues et assez chaudes sur jusqu’où on peut aller sur la manipulation des images, sur la façon dont on peut jouer avec photoshop pour les améliorer. »
Dans le photojournalisme, il est admis que supprimer un détail de l’image, effacer ou rajouter des pixels, est contraire à la déontologie. Mais les retouches de contraste, de lumière, devenues très simples à faire avec les outils numériques, sont l’objet d’incessantes discussions. « On m’a appris qu’il était admis de faire avec photoshop ce qu’il est possible de faire en chambre noire, explique Véronique de Viguerie. Mais ça dépend si on est doué ou pas dans le laboratoire ! En fait, pour moi, quand l’amélioration va à l’encontre de la réalité, quand elle aboutit à cacher une partie du contexte de l’image, on peut dire que la limite est franchie ».
Le jury du World Press photo travaille à partir des images transmises par les photographes, mais en cas de doute il peut demander à voir le fichier original, dit fichier raw, qu’on assimile souvent au négatif. « Il faut bien voir qu’un fichier raw doit forcément être travaillé pour donner une image publiable, poursuit Véronique de Viguerie. La question c’est dans quelle mesure. C’est comme l’alcool, ça doit être fait avec modération ! Car les images parlent souvent d’elles-mêmes, sans qu’il soit besoin de trop en rajouter » Dans le cas de la photo de Paul Hansen, Véronique explique qu’elle rentre totalement dans les critères du World Press. « De façon générale, nous avons été sévères… avec l’idée que le World Press fixe des normes. Donc nous avons préféré être trop stricts, sinon c’est la porte ouverte à toutes les manipulations. »
Claire Guillot, pour Le Monde, 15 février 2013