La Pavillon Carré de Baudouin, à Paris, propose un autoportrait intime du photographe français à travers 200 photographies. Une exposition intitulée Willy Ronis par Willy Ronis et entièrement gratuite.
Personnage clé de l’histoire de la photographie française, Willy Ronis est l’une des plus grandes figures de cette photographie dite « humaniste », attachée à capter fraternellement l’essentiel de la vie quotidienne des gens. À partir de 1985, Willy Ronis se plonge dans son fonds photographique pour sélectionner ce qu’il considère comme l’essentiel de son travail. Il réalise une série de six albums, constituant ainsi son « testament photographique ». Ces albums inédits sont la matrice de cette exposition à voir et à écouter du 27 avril au 29 septembre 2018, au Pavillon Carré de Baudouin, un lieu qui fête ses dix ans cette année, au cœur de Ménilmontant, ce quartier de Paris que l’artiste aimait tant.
Devenu reporter photographe en 1936, Willy Ronis mène de front commandes et recherches personnelles. Observant le monde, ses photos dressent une sorte de portrait à la fois intimiste et profond de la société et de l’époque. Elles constituent un immense travelling qui donne à voir, à comprendre et à aimer les gens dans l’ordinaire de leur vie. En plaçant l’homme au centre de son œuvre, en posant sur lui un regard optimiste et bienveillant, Willy Ronis n’en néglige pas pour autant de rendre compte de la dureté de l’époque, d’où ces nombreuses images sur le monde du travail et les luttes ouvrières, marquant son empathie et un engagement social qui perdure tout au long de son œuvre.
Très jeune, Willy Ronis a commencé à photographier Paris et les quartiers qu’il sillonnait, et n’a plus jamais cessé de le faire. Ce n’est qu’en 1947, sur l’invitation de Daniel Pipard, un peintre ami de sa femme Marie-Anne et authentique enfant de la rue de Ménilmontant, qu’il va découvrir Belleville et Ménilmontant. C’était alors une sorte de village enclos dans Paris et ignoré des Parisiens, qui ne s’y aventuraient qu’avec crainte, tant sa réputation dans les quartiers bourgeois était mauvaise. « C’était le quartier des Apaches, on n’y allait pas », raconte Willy Ronis.
Pour lui, en revanche, c’est une révélation : il tombe amoureux de ce quartier où le temps semble comme suspendu. Il s’attache à décrire une vie sociale simple et modeste, mais d’une solidarité exemplaire, s’arrêtant dans les bistrots et les ateliers à la rencontre de personnages sans prétention mais riches d’humanité. Il y arpente les tonnelles, les ruelles, les passages et les arrière-cours où il rencontre avec le même bonheur des ouvriers artisans, des tireurs à l’arc, des boulistes, et des jardiniers amateurs qui perpétuent le décor verdoyant traversé par les voies de la Petite Ceinture. Willy Ronis constitue ainsi un témoignage hors-pair sur un Paris aujourd’hui disparu, empreint d’une douceur de vivre modeste et insouciante en dépit de la misère qui transparaît dans de nombreuses images. « Belleville Ménilmontant a été une belle aventure. Cela n’a pas été l’aboutissement d’une volonté clairement exprimée dans ma tête. Cela a été un coup de foudre… »
Ces photographies sensibles du quotidien du quartier et pleines de sympathie pour les personnages qu’il y rencontre vont donner naissance en 1954 au premier livre de Willy Ronis, Belleville Ménilmontant (1954, textes de Pierre Mac Orlan). Il ne rencontrera qu’un succès relatif, mais il est désormais un livre culte, réédité à trois reprises, avec un nouveau texte de Didier Daeninckx en 1992.
Dans les années 1960, Willy Ronis ne cessera de revenir dans ce quartier, sur les lieux de ses prises de vues. En 1990, le collectif du bar floréal organisera le parcours « sur les pas de Willy Ronis dans Belleville Ménilmontant », où ses photographies seront affichées sur de grands panneaux installés sur les lieux mêmes de leur naissance, dans les vitrines des commerçants et à la mairie du 20e arrondissement. « J’ai vécu à Belleville des bonheurs personnels et des bonheurs photographiques, pour moi cela ne fait qu’un, c’est le bonheur tout court ».
Pour Willy Ronis, Paris est un lieu exceptionnel qu’il ne cessera, sa vie durant, d’observer avec un regard poétique et tendre, parfois teinté de mélancolie ou de nostalgie. Sur les traces de Balzac, de Prévert et d’Atget, il va collecter une succession de petits miracles que seul un regard attentif et disponible en permanence lui a permis de rapporter dans les mailles de son filet.
Dans le même temps, Ronis multiplie les reportages en banlieue, photographiant les scènes pittoresques, les passants affairés, les amoureux, les quais de seine, les bords de marne, les Halles ou le quartier latin et la vitalité retrouvée de sa jeunesse. Ces photographies, à la fois si complémentaires et si différentes les unes des autres, dans le fond comme dans la forme, témoignent toutes d’un regard empli de tendresse, mais sans complaisance ni emphase. Ces images sensibles et aujourd’hui quasi intemporelles, témoignent avec tant de force de son désir de justice sociale, qu’elles interrogent la condition humaine. « Je n’ai jamais poursuivi l’insolite, le jamais vu, l’extraordinaire, mais bien ce qu’il y a de plus typique dans notre vie de tous les jours ».
L’autoportrait est un autre jeu auquel Willy Ronis s’est souvent livré avec des approches fort différentes. Véritable flash-back sur un demi-siècle d’existence, cette série de photographies nous fait suivre pas à pas le passage d’un jeune homme plutôt sophistiqué au vieux mon- sieur intégré dans la vie. Les premiers autoportraits sont des images assez apprêtées soigneusement éclairées et mises en scène, où se lit encore l’influence du studio paternel.
Puis le photographe va s’éloigner de ce passé et profiter de son travail et de ses rencontres pour réaliser des images plus proches de la vie. Déjà, le célèbre autoportrait aux deux flashes en 1951 est plus réaliste et techniquement plus élaboré. Le regard s’approfondit, témoignant d’une tendance évidente à l’introspection, tout en s’efforçant d’intégrer la réalité qui l’entoure, comme l’illustrent les autoportraits vénitiens de 1981. Cette dé- marche trouve son aboutissement dans l’image quasi surréaliste réalisée à Paris, rue des Couronnes, en 1985, où le photographe se fond en un double reflet de lui-même intégré dans le jeu des miroirs d’une vitrine de magasin.
Outre les photographies exposées, près de deux cents, réalisées entre 1926 et 2001, le public peut également feuilleter les six albums à partir de bornes composées de tablettes interactives. Par ailleurs, une série de films et de vidéos réalisés sur Willy Ronis est projetée dans l’auditorium selon une programmation particulière. Une occasion unique d’entrer de plain-pied dans l’univers personnel de l’artiste.
Willy Ronis par Willy Ronis
27 avril au 29 septembre 2018
Pavillon Carré de Baudouin
121 Rue de Ménilmontant
75020 Paris
France