The Neighbors (Les voisins), une exposition présentée actuellement à la galerie Julie Saul Gallery de Chelsea, met en colère, comme vous avez pu peut-être le lire, de nombreux résidents d’un l’immeuble de TriBeCa, à New York. Les photographies de ses vis-à-vis qu’Arne Svenson réalise au téléobjectif depuis l’intérieur de son appartement, capturent les gens chez eux à travers leurs fenêtres. Les voisins, qui ne sont pas au courant qu’ils sont photographiés, apparaissent masqués – se penchant en avant, dos aux fenêtres, la tête tournée ou derrière des rideaux – et donc pour la plupart non identifiables. Mais les sujets peuvent se reconnaître eux-mêmes et d’autres peuvent peut-être le faire.
Une question se pose à propos de ces images : relèvent-elles de l’art ou d’une intrusion dans l’espace intime ? (Et si elles participent aux deux, est-ce que l’art justifie l’intrusion ?) Ces images en particulier sont problématiques, même pour ceux qui, comme moi, prennent régulièrement le parti des artistes et des journalistes lorsqu’on en arrive à la question de la liberté d’expression. Je soutiens le droit des artistes à réaliser et à exposer leur art et je crois que Svenson a parfaitement le droit d’exposer ces images. Mais si celles-ci présentaient dans une galerie des images de ma famille dans notre maison, réalisées par un photographe utilisant un téléobjectif sans notre consentement, je ne serais pas ravie. Donc la question se pose : est-ce de l’art quand cela concerne quelqu’un d’autre, mais cela n’en est plus quand c’est une image de vous ou de votre famille ? Ou, pourriez-vous arguer si vous choisissiez de vivre dans l’immeuble Zinc (que vous pouvez visiter via Google Street View), une structure comprenant des pans de verre transparents entre ses différents étages, les sujets choisis par Svenson auraient-ils dû réaliser que d’autres pourraient voir ce qu’ils faisaient en regardant par leurs fenêtres ? Le fait qu’un photographe puisse voir quelque chose lui donne-t-il le droit d’en faire un cliché ? Même si c’est une scène qui se passe à l’intérieur de la maison de quelqu’un ?
Les images de Svenson sont composées à la perfection. Il y a une sorte de classicisme moderne en elles. Des moments tout à fait ordinaires sont transfigurés et amenés à un point de calme éphémère tel qu’on peut le trouver dans le travail de Balthus ou d’Edward Hopper. Il semble aussi que Svenson ait voulu faire usage d’une forme de discrétion en ne montrant que des images dans lesquelles l’identité de ses sujets est masquée. Ce geste permet non seulement de protéger l’intimité de ses voisins (d’une certaine manière), mais aussi d’augmenter la portée de son art en rendant ses sujets plus universels et captivants. Mais il y a quelque chose de profondément troublant dans le fait de réaliser que quelqu’un a pu vous observer à travers vos fenêtres.
La question des droits du sujet sur sa propre image avait été évoquée quand Erno Nussenzweig avait poursuivi Philip-Lorca diCorcia et la galerie Pace/MacGill en 2005 après qu’il est découvert que diCorcia avait photographié son visage à Times Square et avait exposé cette photo à la galerie. L’avocat de Nussenzweig déclarait alors que son client « avait perdu le contrôle de sa propre image ». (Nussenzweig avait perdu son procès). En 1978, un homme attaqua le New York Times en justice après qu’une photographie de lui, prise en public, soit apparu sur la couverture de ce magazine sans son consentement (il perdit également son procès). Ces deux situations pourraient être vues comme très différentes de celle dans laquelle se trouve Svenson actuellement parce que les photographies en question avaient été prises dans des endroits publics, dans les rues de Manhattan.
Je sais que je ne parle pas pour tout le monde, mais pour moi, la liberté dont jouissent les artistes et les journalistes vaut bien quelques entorses à la vie privée. Autrement nous ne pourrions jamais voir des travaux comme cette vidéo de James Nares, actuellement exposée au Metropolitan Museum of Art.
Qu’en pensez-vous ? Est-ce que les images de Svenson constituent une violation caractérisée de la vie privée ? Et si c’est le cas, est-ce que cette transgression peut être défendue du fait qu’elle entre dans le cadre d’une production artistique ?
Kathy RYAN, Directrice de la photographie pour le New York Times Magazine.
Note : Ce texte a été repris et traduit de sa version originale, qui apparaît sur le 6th Floor Blog du New York Times. Pour réagir au point de vue de Kathy Ryan ou commenter son article, se rendre à l’adresse suivante : http://6thfloor.blogs.nytimes.com
EXPOSITION
ARNE SVENSON, The Neighbors
Du 9 mai au 29 juin 2013
Julie Saul Gallery
535 W 22nd St # 6F
New York, NY 10011
Etats-Unis