Le Westred Art Museum d’Harbin présente « L’Étoffe des rêves », une exposition de Gérard Uféras, sous l’Egide du Consulat Général de France à Shenyang et de L’Institut Français de Chine, dans le cadre du Festival Croisements, Harbin Chine.
« L’Etoffe des rêves » par Sarah Mower Contributing Editor, Vogue USA
« Gerard Uféras a surgi en catimini dans les milieux de la mode et a commencé, en janvier 1999, à prendre des photos sans se soucier de la kyrielle de conventions rigides qui régissent les défilés – ces conventions auxquelles on doit des milliers de photos toutes aussi plates les unes que les autres. Avant tout, Uféras est un outsider par rapport à cette industrie. C’est un photojournaliste, pas un photographe de podium, ni même de mode. Il n’est pas de ceux qui ont troqué leur oeil contre un téléobjectif. On ne le verra jamais planté au beau milieu du troupeau de ses confrères pour prendre une photo. N’étant pas spécialiste en la matière, il ne se fie qu’à son regard. D’un pas nonchalant, il fend la foule des enfiévrés médiatiques et se dirige vers le petit incident au fond de la salle qui va lui permettre de saisir un événement fascinant. Gerard Uféras ne photographie jamais les stars, et il est rare qu’il braque son objectif sur les top-models – non qu’il décide sciemment de ne pas s’intéresser à eux, mais parce qu’à ses yeux, toutes les mannequins se valent : ce sont seulement des filles, des filles qui travaillent, des filles qui rient, des filles qui se concentrent, des filles qui attendent, des filles qui se soumettent au supplice des épingles, du maquillage, des finitions, des filles qui vont faire leur entrée, des filles, seulement des filles.
Ensuite, ce qui rend les photographies de Gerard Uféras, particulièrement attirantes, subtiles et émouvantes, c’est le respect absolu – mélange d’attention et de discrétion – qu’il a pour son sujet. De nombreux photographes travaillent dans les coulisses des défilés – encore une autre branche de l’industrie de la mode qui alimente les rubriques « Beauté » des magazines internationaux. Mais, là aussi, les conventions l’emportent sur la créativité : fille la tête pleine de bigoudis, filles avec leur téléphone portable scotché à l’oreille, filles mâchouillant du chewing-gum, filles cajolant leur toutou, filles à moitié nues – toujours en couleur. C’est devenu un nouveau « cliché » : la tranche de vie. Heureusement pour nous, ce n’est pas cette réalité-là qui intéresse Gérard Uféras.
Gérard Uféras travaille exclusivement en noir et blanc, et n’essaie pas de piéger les filles dans leur moment de vulnérabilité. Ce qui est remarquable, c’est qu’il semble doté d’un filtre mental particulier, hors du temps. Le « grand moment » qu’il capture pourrait tout aussi bien appartenir à une époque révolue, celle où les idéaux d’élégance, de féminité, avaient encore un sens. Dans l’œil de Gérard Uféras, les mannequins d’aujourd’hui ne sont pas les gamines au physique d’anorexique, les pin-up ou les démons faites femme qui peuplent l’imaginaire populaire de nos contemporains. Dans son regard, elles participent totalement à l’existence de la mode ; ce sont des actrices à part entière qui, grâce à leur talent intuitif et à leur professionnalisme, hissent le défilé au niveau d’un spectacle.
L’envers du décor, voilà ce qui caractérise le travail d’Uféras. Ses photographies de mannequins au moment où elles entrent ou sortent du podium, sont révélatrices et poignantes en ce sens qu’elles saisissent les événements dans ce qu’il a de plus fugace. L’une d’elles présente des filles accroupies derrière un rideau, et leur frimousse reflète le trac qu’elles ont ressenti juste avant de faire leur entrée. En tant que femme, on retient son souffle devant ces images, croyant presque à nouveau, comme quand on était petite, que le monde enchanté des belles princesses existe bel et bien !
En allant, au-delà du « glamour », ce poncif associé à l’industrie de la mode, la sensibilité de Gérard Uféras s’exprime dans une esthétique sophistiquée et révèle une humanité faite de respect pour son sujet. Il ne cherche pas à faire la photo sensationnelle qui fera la une du lendemain. Il n’use pas des ruses des paparazzis. Peut-être son goût du détail artisanal vient-t-il du fait qu’il est français. Dans les ateliers de haute couture parisiens, les petites mains créent des merveilles de drapé, de broderie, de confection. Dans l’œuvre de Gérard Uféras, ces femmes aux doigts de fée sont partout, épinglant, coupant, sculptant les tissus, où aidant les mannequins à se glisser dans les modèles uniques créés par les couturiers. On se rend compte que c’est réellement un travail d’équipe, au même titre que celui des mécaniciens lors de course de Formule 1.
La passion que nourrit Gérard Uféras à l’égard de la mode, l’a poussé dans des lieux que la plupart des photographes de podium ne se soucient jamais d’explorer. Contrairement à eux, qui sont toujours à l’affût d’un coup, il demande souvent à couvrir les défilés les moins cotés : celui d’une maison de haute couture traditionnelle dépassée par l’évolution ultrarapide de la mode et qui lutte pour ne pas perdre sa fidèle clientèle, celui d’un groupe d’étudiants en stylisme ou encore celui d’un illustre inconnu. Ce qui est primordial pour les rédacteurs de mode–capturer le dernier cri, être assis au premier rang du défilé du styliste le plus branché du moment – n’a strictement aucune importance à ses yeux. Curieusement, Uféras ne pense pas que les collections sont des épisodes de l’histoire de la mode contemporaine, pas plus qu’il ne considère que les mannequins sont les stars que veulent en faire les agents et les magazines. La vision qu’il a de cet univers lui permet d’accomplir quelque chose d’absolument remarquable dans le contexte de cette industrie au rythme impitoyable.
Refusant de céder à la tyrannie de l’instant, Gérard Uféras réussit un exploit : il fait de l’indémodable avec de l’éphémère. Ses images sont intemporelles. Par l’hommage qu’elles rendent à la beauté, elles témoignent d’une chose qui sans Gérard Uféras passerait inaperçu dans cet univers où le commerce est roi : le bonheur.
Et c’est peut-être là le plus beau cadeau qu’il nous fait. »
Gerard Uféras : L’Étoffe des rêves
15 avril -20 mai 2023
Westred Art Museum
Harbin, Chine