Depuis plus de quarante ans, la photographe américaine Wendy Ewald sillonne la planète, poursuivant un projet artistique et éducatif, une initiative continue en constante évolution. Celui de se servir de la photographie comme thérapie de groupe, et comme un outil de partage. À chaque nouvelle étape, elle commence par évoquer les aspects conceptuels, formels et narratifs de la photographie avec ses étudiants, et en profite pour prendre des portraits d’eux. Elle leur apprend à se servir de leur appareil, et pour beaucoup, il s’agit d’une première.
Wendy Ewald n’impose aucun sujet, et les enfants qu’elle convie à la photographie sont libres de sonder les questions de société pertinentes pour leurs communautés, dont l’appartenance ethnique, les classes et les genres. Il en résulte des portraits poétiques et pleins de vie, qui éclairent les liens intimes entre ses étudiants et leurs univers.
En 1969, la photographe se porte volontaire pour travailler avec des enfants, au sein d’une réserve indienne dans l’est du Canada. Déterminée à réussir une carrière de photographe et influencée par les photographies de Dorothea Lange, notamment ses séries de fermiers lors de la Grande Dépression, elle a prévu de produire sa propre série documentaire sur la vie dans la réserve. Mais son approche est alors bouleversée par les clichés pris par ses jeunes étudiants avec les appareils qu’elle leur a apportés. Leurs photographies, explique-t-elle, « étaient plus compliquées et perturbantes que les miennes, et j’ai compris qu’elles s’approchaient au plus près de leur vie ».
En 1975, Wendy Ewald s’installe à la campagne, dans le comté de Letcher (Kentucky) et commence à travailler avec des enfants de six à quatorze ans. Ces six années vont ancrer sa pratique. Abandonnant son rôle d’auteur exclusif et plutôt que d’illustrer simplement la vie des enfants, elle leur offre les outils et les aptitudes nécessaires pour s’en charger eux-mêmes. Ce faisant, elle remet en question les différences fondamentales entre l’art conceptuel et la photographie documentaire, entre le photographe et son sujet, entre l’enseignant et l’étudiant. C’est à partir de ce travail qu’elle va décider de poursuivre ses explorations collaboratives.
L’exposition new-yorkaise Wendy Ewald: Works, Projects, Collaborations 1975 – 1996 se compose de plus de soixante-dix tirages d’époque en noir et blanc, tirés des sept premiers projets de l’artiste. Le parcours démarre sur sa première exploration collaborative longue durée, dans le Kentucky, en 1975, et se poursuit avec des projets menés au Mexique (1991), en Inde (1989-1991), aux Pays-Bas (1996), en Colombie (1982-1985), en Afrique du Sud (1992) et au Maroc (1995).
Ces photographies représentent énormément de choses. S’il en est une qu’elles ne reflètent pourtant pas, c’est la vision unique de Wendy Ewald. Ce qu’elle produit avec ses étudiants est différent. C’est une histoire d’enfants, un conte que des adultes ne pourraient jamais imaginer par eux-mêmes. Leurs images sont aussi obsédantes et bouleversantes que celles de Diane Arbus, Nan Goldin, Eugene Meatyard et autres spécialistes de la rudesse poétique du quotidien. Elles ont parfois quelque chose d’excentrique, de lyrique et même dérangeant, comme par exemple What I don’t like about where I live (ce qui ne me plait pas, chez moi), image d’un homme noir prise en 1992 par une jeune Sud-africaine blanche du nom de Nicoline Cuyler.
L’aspect documentaire du travail de Wendy Ewald peut se comparer à celui de références tels que Walker Evans et Robert Frank. Par ses côtés conceptuels, il rejoint des artistes comme Vito Acconci et Douglas Huebler. Il modifie radicalement les définitions conventionnelles que l’on se fait de la notion d’auteur en tant qu’individu. La pratique de Wendy Ewald façonne de nouvelles formes artistiques d’intentions, d’identités et de liens de pouvoir. Depuis plusieurs décennies, à travers ses multiples expositions muséales et ses livres, elle inspire des générations d’artistes collaboratifs.
Wendy Ewald: Works, Projects, Collaborations 1975 – 1996
19 avril – 2 juin 2018
Steven Kasher Gallery
2nd Floor, 515 W 26th St
New York, NY 10001
USA