Les rues sont faites pour le transport, et elles sont aussi des espaces publics contenant le flux des piétons. Il est donc naturel qu’elles constituent des plateformes parfaites pour la diffusion de l’information. En Chine, des panneaux d’affichage et des vitrines ont été destinés à cet usage. Mais pour les utiliser il y a des procédures d’approbation complexes, et aussi des coûts élevés. Pour contourner ces supports publicitaires formels, beaucoup de gens ont choisi d’imprimer sur papier les informations qu’ils souhaitent publier et de coller ces affichettes sur n’importe quelle surface libre, ou parfois même de griffonner l’information directement sur les murs des espaces publics. Les services annoncés vont de la location d’appartements, ou des services de serrurerie aux services sexuels, à la vente de drogues, et même la vente d’armes à feu.
Une des tâches des employés de l’administration municipale est d’éliminer ce contenu illicite des espaces urbains. Parfois, ils grattent soigneusement les publicités du mur, ou bien les frottent avec un chiffon humide. Mais souvent, ils utilisent la méthode la plus simple et la plus efficace à leur disposition : les recouvrir de peinture. Mais la peinture fraîche ne correspond pas toujours à la couleur du mur, et les nettoyeurs finissent par laisser des traces plus évidentes que les annonceurs. Pour les administrateurs municipaux, cela n’a aucune importance : tant que les informations publicitaires sont effacées, leur objectif est atteint – l’esthétique n’est pas prise en considération.
Pour créer les images de la série No Name, Wang Ningde explore les murs et autres surfaces des espaces urbains publics, et recueille des images photographiques de ces traces laissées par les employés de l’administration municipale. Les coups de pinceau ont des formes et tailles différentes et sont dispersées dans toute la ville. Quand on les regarde attentivement, ils semblent aléatoires car ils ne sont pas destinés à montrer quoi que ce soit, mais à effacer.
Les annonceurs illicites et les nettoyeurs urbains sont liés par une relation conflictuelle. Ces traces de peinture sont un document de contradiction et de résistance entre l’autorité et les délinquants mineurs dans l’environnement urbain. Wang Ningde considère chaque coup de pinceau comme une expression essentielle du conflit. Il les utilise comme des blocs de construction pour former des images composites qui se réfèrent à des marqueurs sans nom, des scènes sans nom, des participants sans nom à des actions de groupe.
En ce qui concerne l’utilisation de l’espace urbain et les modes d’action antagonistes, les marquages possèdent aussi des attributs analogues aux graffiti de rue – tous deux témoignent de la voix des groupes périphériques, en même temps qu’ils forcent leur chemin dans notre champ visuel comme le fait le nombre infini d’images qu’on trouve dans le paysage urbain. En collectant et en intégrant des éléments du paysage social, Wang Ningde explore la structure de base du conflit social, cherchant une expression subjective de l’histoire sociale à partir de la réalité de micro-narrations.
Wang Ningde utilise la photographie comme un support sans laisser les photographies être restreintes dans le temps. Ici, les images prennent la forme de coups de pinceau, déguisés dans le langage de la peinture. Il y a là une sorte d’humour au travail, faisant référence à la relation artistique complexe et souvent enchevêtrée de la photographie et de la peinture.
La série Some Days est le produit d’un travail de plusieurs années; Wang Ningde a eu besoin d’une grande patience pour le terminer. Ce groupe de travaux nous donne à voir la pensée et la lucidité conscientes que l’artiste a investies dans sa création, plutôt que l’intuition avec laquelle un artiste approche habituellement son travail.
Le travail Some Days décrit l’intégralité d’une période d’adolescence déjà perdue, un mari et une femme qui s’aperçoivent que l’illusion heureuse de leur amour est brisée, son excellent camouflage et la réalité froide. Il s’agit des états de la jeunesse, de la sexualité, de la croissance et de leurs dangers. Les expressions vides des personnages et le refus de contact visuel perturbent la confiance du spectateur – Wang Ningde retient le regard du spectateur, non seulement avec un regard intérieur ou en regardant le spectateur, mais aussi grâce à la perspective particulière des œuvres. Dans ses travaux, signifiant et signifié ne peuvent pas composer une chaîne de sens cohérente, ne peuvent pas former un discours avec un point de vue particulier, et ils ne peuvent pas être distingués les uns des autres. On dirait que Wang Ningde ressuscite des images mortes, les juxtapose et les réorganise en de nouvelles combinaisons.
On peut remarquer qu’il y a aussi un côté “chaleureux” dans les œuvres de Wang Ningde. Cette chaleur filtre clairement à travers les nombreuses couches de la tragédie nationale causées par l’inconscience collective qui nous est familière. Avec son récit psychologique touchant, il partage l’histoire et les symboles avec l’initié compréhensif. En reconstruisant une sorte de grammaire narrative, il utilise les métaphores et l’imagination pour clarifier ces fragments de souvenirs et les déplier pour qu’ils soient visibles de l’humanité entière.
Lianzhou Foto 2016
Du 19 novembre au 9 décembre 2016
Lianzhou, Guangdong
Chine