Fille d’immigrés d’origine austro-hongroise du côté de son père, Charles von Maier, et française du côté de sa mère, Maria Jaussaud, Vivian Maier (1926-2009) exerce le métier de gouvernante d’enfants à New York puis à Chicago, au début des années 50, jusqu’aux années 90.
Sa condition sociale précaire la conduit à mener une vie sans heurts ni vacarme, silencieuse et solitaire.
Une vie qui ne se raconte pas, une vie transparente, comme si con corps sans ombre ne possédait plus que l’apparence de la vie. Une vie faite d’une certaine résignation aussi, cette même « résignation qui allège tous les maux sans remède »(1), parvenant ainsi à subsister sans vraiment exister.
C’est en 2007 à Chicago, par une fortuite coïncidence que l’on découvrira ce que personne n’avait pu entrevoir de cette « Femme sans Ombre »(2) et de ses contradictions.
Sa part manquante, comme délestée de sa servitude, avait fabriqué une œuvre considérable.
Une œuvre imposante, dense, lumineuse et brillante, constituée de plus de 120 000 images photographiques, de films super 8 et 16mm, d’enregistrements divers, de photographies éparses, et d‘une multitude de pellicules non développées, comme autant de trouvailles subjugantes. Cette passion qui l’habite et qui deviendra une certitude, l’élève aujourd’hui au rang des plus grands photographes emblématiques de la Street Photography, et figure dans l’Histoire aux côtés de Diane Arbus, Robert Frank, Helen Levitt ou Garry Winogrand.
Dans l’ensemble de son œuvre, on retrouvera des thématiques récurrentes, qui agissent comme des pondérations qui équilibrent l’ensemble de l’architecture de son œuvre, définissant d’emblée et dès ses premières images, un vocabulaire, une syntaxe, un langage.
Son langage, celui-là même avec lequel elle racontera son temps.
Les scènes de rue, son théâtre de prédilection, et les quartiers ouvriers, là où elle rencontre la vie. De nombreux portraits d’inconnus et de personnes auxquels elle s’identifie, et à qui elle délivre une fraction de seconde d’éternité en croisant leurs regards. Un geste, une expression, une situation. La grâce des petites choses accessibles.
Et puis, l’univers des enfants qui a été le sien durant si longtemps, et qui est aussi le monde de la liberté où le temps n’existe plus. Des formes, des rythmes, des matières, comme des objets trouvés au détour de ses longues promenades. En noir et blanc, et puis en couleur à partir des années soixante, y apportant une variation, celle de la musicalité des couleurs, et jouant de ses spécificités. Elle s’essaiera au cinéma, avec sa caméra super 8 ou 16mm comme une tentative de ne plus précipiter le temps en avant mais plutôt de l’installer dans une temporalité, celui de son regard, car, ce que Vivian Maier filme, ce n’est pas une scène, ce sont les déplacements de son regard dans l’espace, à la recherche de l’image photographique.
Vivian Maier « empoignait la vie qui était partout où elle portait son regard. Elle la saisissait par leurs petits endroits, elle l’observait, elle la suivait. Elle l’attendait aux passages où elle hésitait, elle la rattrapait là où elle courait et où que ce soit, elle la trouvait partout aussi grande, aussi puissante et entraînante ». (3)
Mais, au cœur même de ces thématiques, il y a un enjeu d’importance qui semble porter toute la structure de l’œuvre. C’est celui de la quête de sa propre identité à travers ses autoportraits.
Ils sont nombreux dans l’œuvre de Vivian Maier et se déclinent sous de multiples variations et typologies, et deviennent un langage dans le langage. Une forme de mise en abîme du dédoublement.
La modalité récurrente de ses autoportraits, devenue maintenant une forme de signature est celle de l’ombre portée qui se caractérise par son adhérence au corps, ce corps dédoublé en négatif, « taillée dans le réel » (4) et qui a cette faculté de rendre l’absent présent. Car, si l’ombre atteste de l’existence d’un référent, elle en oblitère simultanément la présence. C’est dans cette dualité que Vivian Maier joue avec ce Je au seuil de sa disparition et l’avènement de son double reconnaissant que l’autoportrait est « une présence à la troisième personne (qui) marque exactement la simultanéité de cette présence et de cette absence ». (5)
L’oeuvre de Vivian Maier, découverte in extremis car probablement vouée à sa « défiguration », voire à sa disparition, se déplie sous nos yeux, et c’est ainsi que cette « simple nanny », sans nom ni visage, accède alors à devenir, de manière posthume, Vivian Maier. Vivian Maier, photographe.
Son œuvre, vivante et vibrante trouve écho, d’une manière ou d’une autre, auprès de tout ceux qui un jour ont posé leur regard sur une de ses images. Le temps s’arrête soudain. Vivian Maier se tient debout devant nous et s’inscrit pour toujours dans l’éternité.
Anne Morin
1. Horace, Art Poétique ou Epître aux Pisons, 19 avant J.C
2. Richard Strauss, Femme sans Ombre, Opéra en 3 actes crée en 1919
3. Rainer Maria Rilke, Auguste Rodin, 1902
4. Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et L’Invisible, Paris, Gallimard, 1964.
5. Emmanuel Lévinas, Le Moi et la Totalité, in Entre Nous. Essais sur le penser à l’autre, Paris, Grasset, 1991.
Vivian Maier, Entre ses mains
12 octobre 2019 – 12 janvier 2020
PALAZZINA DI CACCIA DI STUPINIGI
Piazza Principe Amedeo 7 – Stupinigi (Turin, Italie)
Commissaire: Anne Morin
https://www.dichroma-photography.com/
Exposition organisée en collaboration avec la collection Howard Greenberg (New York) et la collection John Maloof