A force de voir ses photographies un peu partout, on s’était fait à l’idée que Vivian Maier fut une photographe de rue classique, bien que son style reste inimitable, son histoire exceptionnelle et que sa sensibilité était capable d’attendrir n’importe quel regard. Avec l’exposition d’autoportraits que lui consacre ce mois ci la galerie Howard Greenberg, on découvre que l’Américaine aimait aussi l’illusion et le jeu. Parce qu’elle était solitaire – on peut même supposer une forme d’autisme propre à certains artistes –, son approche de la mise en scène ne pouvait se réaliser qu’en passant par sa propre représentation. Ainsi, on la retrouve à nouveau dans la rue – son terrain préféré –, mais cette fois dans les miroirs, les vitres, le reflet d’une poubelle en métal, celui d’un enjoliveur de berline, pourquoi pas l’arrière d’un rétroviseur, et en ombres sur les murs ou les pelouses fleuries.
Certains autoportraits de Vivian Maier sont d’une ingéniosité remarquable. Et il faut les scruter de près pour tenter d’en comprendre le processus. En témoigne celui où elle photographie son reflet dans une vitre, et où au centre de l’image apparaissent avec une netteté épatante deux femmes assises derrière le verre, leurs jambes se confondant avec celles de la photographe. Moins compliqué mais tout aussi troublant, il y a ce deuxième, dans lequel elle apparaît distinctivement munie de son Rolleiflex au centre d’un distributeur de cigarettes, dans un cadrage large. Ou ce troisième, dans lequel elle apparaît en double, en sous exposition dans un grand format, puis en tout petit au milieu d’une vitre, au bas de la photographie. Ici, trois plans se confondent, sans qu’on le remarque réellement, trois perspectives à priori distantes qui se rejoignent par la magie de l’association à plat que permet la photographie. On se doutait que Vivian Maier était une âme romantique, moins qu’elle était une technicienne hors pair.
A l’heure où chacun de nous utilise son téléphone portable pour se prendre en photo devant les monuments, lors de concerts et de fêtes, ou en compagnie de célébrités, et poste ces clichés sur les divers réseaux sociaux, cette exposition pose la question du narcissisme associé à un tel acte. Que ce soit pour l’amateur, pour Vivian Maier ou pour d’autres photographes célèbres. Pourtant, chez elle, on peut supposer que cette démarche ait fait figure de thérapie, qu’elle ait été une façon de s’insérer dans la société, d’exister par l’image, au vu du nombre de photographies du genre et surtout de leur caractère espiègle. Ce qui est fascinant avec Vivian Maier, c’est que les réponses aux dizaines de questions des spécialistes ne viendront peut-être jamais. Elles sont enfouies dans son œuvre. N’y a-t-il rien de plus beau à contempler que l’énigme ?
Jonas Cuénin
Note : En parallèle des autoportraits de Vivian Maier, la galerie Howard Greenberg expose quelques clichés inédits de la photographe dans une petite salle attenante.
Vivian Maier, Selfportraits
Jusqu’au 14 décembre 2013
chez Howard Greenberg Gallery
Suite 1406?41 E 57th St
New York
USA
T. (212) 334-0010