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Visa pour l’Image 2020 / ESJ PRO : Alfredo Bosco : « Il faut montrer la violence pour la comprendre »

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Photojournaliste italien de 33 ans, lauréat du Visa d’or humanitaire du Comité international de la Croix-Rouge cette année, Alfredo Bosco a enquêté entre 2018 et 2020 dans l’État du Guerrero, au Mexique. Un quotidien marqué par la violence et la drogue. Les habitants constituent des groupes d’auto-défense, parfois criminels, pour faire face aux cartels.

Pourquoi avoir choisi ce sujet sur le Guerrero ?

« Pour dire la vérité, c’est un de mes très bons amis journaliste, Pierre Sautreuil, avec qui j’avais travaillé dans le Donbass, en Ukraine, qui a découvert cette histoire de milices d’auto-défense dans l’État de Guerrero. Du Guerrero, je ne connaissais qu’Acapulco. Mais en arrivant sur place, j’ai réalisé qu’il y avait de la matière pour un reportage bien plus long. J’ai donc décidé de continuer seul, à la découverte de cette guerre entre trafiquants. Sur la fin, j’avais une commande du Figaro, dont j’ai rencontré l’iconographe l’année dernière à Visa pour l’Image. J’ai été rejoint par un de leur journaliste, Vincent Jolly. »

Combien de temps avez-vous passé sur place ?

« J’y suis allé cinq ou six fois. Parfois deux mois, parfois dix jours. Il n’était pas possible de se rendre dans les villages à l’improviste, parce qu’ils sont gardés par des criminels. Il fallait donc bien préparer sa visite et garder en tête que, même s’il n’y a pas de ligne de front, l’état du Guerrero est en guerre. Il ne faut pas sous-estimer l’endroit où tu te rends. »

Comment avez-vous trouver des contacts sur place pour un sujet si sensible ?

« On s’est d’abord appuyé sur un correspondant français au Mexique, qui parlait parfaitement espagnol, car il y avait la barrière de la langue. Puis, on a rencontré des victimes, des associations de victimes, des personnes en lien avec la police. Mais comme partout, il a surtout fallu passer du temps avec les gens. Par exemple, je suis allé quatre fois à Rincon de Chautla, le village où la police a décidé d’entraîner les enfants et les femmes à se battre. Les habitants ont apprécié que je m’intéresse vraiment à leur histoire. J’ai beaucoup discuté avec eux pour les mettre à l’aise, même si ce n’est jamais complètement possible avec l’appareil photo. L’important est d’être poli et respectueux. »

Vos photos sont parfois difficiles à regarder. Pourquoi ce choix ?

« Je me bats avec moi-même parce que je ne veux pas esthétiser la violence mais, à un moment, il faut bien la montrer pour la comprendre. Je sais que mes photos peuvent être dures à voir — tellement, qu’elles sont parfois impubliables. Mais le principal c’est qu’elles respectent les hommes. Quand je photographie des corps, j’essaye de ne pas montrer le visage. «

Comment gérez-vous cette violence en tant que personne ?

« C’est lors du tremblement de terre à Haïti en 2013 que j’ai réalisé que j’étais capable de faire ce genre de reportages. Peut-être aussi parce que je suis originaire du sud de l’Italie et que j’ai vu beaucoup d’enterrements et de personnes mortes dans ma vie. »

Comment avez-vous assuré votre sécurité ?

» J’avais toujours un traceur GPS qui permettait à des gens à Mexico de suivre ma position. Je sais que s’ils n’ont pas de nouvelles de moi à la fin de la journée, ils vont agir. Il faut montrer aux gens que vous ne voulez pas leur nuire, ne pas rester trop longtemps, ne pas trop parler, ne pas être trop expressif. Enfin, il faut s’appuyer sur les journalistes locaux qui sont de bons conseils. Selon RSF, le Mexique est le pays le plus meurtrier du monde pour les reporters. D’ailleurs, les journalistes mexicains n’écrivent que des « notas », des sortes de brèves très factuelles. Ils sont souvent intimidés, certains ne peuvent pas habiter dans la ville où ils travaillent et ont des maisons sécurisées. Il faut faire attention de ne pas les mettre en danger. »

Est-ce que les gens comprennent ce que vous faites ?

« Généralement non. Ils ne comprennent pas pourquoi je prends des photos de telle ou telle chose. Pour eux, mon travail est moins concret que celui d’un journaliste de presse écrite. «

Êtes-vous optimiste quant à l’avenir de cet État ?

« Pas du tout, surtout avec la crise sanitaire. La dynamique du Guerrero est similaire à celle de ma région d’origine, le sud de l’Italie. Là-bas, avec le Covid-19, les petites gens, notamment les commerçants, sont en difficulté et ont besoin d’argent. Et quand la banque ou l’État ne te donne pas d’argent, tu vas le chercher ailleurs. Ainsi, la crise encourage la criminalité. Je pense que ça pourrait être la même chose dans le Guerrero. En plus, le prix de l’opium a chuté ces deux dernières années et ne permet plus aux cartels de gagner suffisamment d’argent à leur goût. Le Covid-19 est donc une opportunité pour eux. » 

En avez-vous fini avec le Guerrero ?

« J’ai le sentiment d’avoir besoin de conclure le travail. J’aimerais y ajouter une partie sur les laboratoires où les trafiquants travaillent l’héroïne. C’est très difficile d’y accéder et il faut parfois négocier trois mois pour y entrer, ne serait-ce que dix minutes. Il y a également un tout autre problème que j’aimerais traiter : les mines d’or présentes dans la région. Elles constituent un marché potentiel pour les groupes criminels. »

Audrey Duquenne et Julien Francois

 

https://www.visapourlimage.com/

www.esj-pro.fr

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