Attentive au monde, Virginie Marnat révèle en images les comportements sociaux, les aspirations, les illusions. Avec humour et poésie, elle crée des représentations ambiguës de la réalité, troublant nos certitudes. Dans une écriture photographique multiple, l’artiste met en évidence la vanité des modèles dont se nourrit l’individu, rendant visible les postures qui ne sont qu’apparences et le vrai dans l’invisible.
Les photographies de Virginie Marnat s’inscrivent dans le réel. Elles se fondent sur un quotidien observé minutieusement, détaillé et considéré dans sa globalité. Refusant une écriture unique, l’artiste déploie au fil de ses séries, un questionnement sur les apparences sans revendication ni dénonciation. De ces scènes réalistes, documents ou fictions, naît souvent un trouble pour le spectateur, confronté à la vraisemblance des images. Portraits posés, jeux assumés par les modèles, nature saisie dans des instants particuliers, mettent en évidence la vanité des désirs de paraître tout comme la part essentielle de l’individu. Cette réalité rendue visible, les apparences s’effritent pour laisser transparaître le vrai. Son travail est souvent sériel, apportant une subtile pluralité d’approches du sujet, dans des explorations et individualisations de la même situation.
Dès 1992, Virginie Marnat pose les bases de sa démarche avec la série « Les Filles de Dijon ». Toutes ces filles, aux tenues et attitudes typées, on les reconnait pour les avoir déjà vues, croisées, côtoyées, incarnées peut-être même. Chacune d’elles affirme une identification à un modèle plus qu’une singularité. Devant le fond uniforme et neutre du studio, les poses de ces jeunes femmes sont décontextualisées. Les photographies noir et blanc aux caractéristiques documentaires constituent un inventaire distancié. Pourtant, en s’y attardant, le systématisme n’apparaît pas que dans la répétition d’un protocole de prise de vue. Des similarités deviennent visibles, et nait un trouble, une autre lecture de ces images transparaît.
Ce questionnement sur les aspirations et représentations des femmes jalonne le travail de l’artiste. Des femmes légèrement vêtues, dans des attitudes parfois lascives et provocantes, sont photographiées de nuit, en extérieur, à la lumière de ce qui pourrait être des phares de voiture. Le titre de la série révèle la situation générée : « Toutes mes copines sont des putes » (1999). Virginie Marnat a sollicité des femmes de son entourage pour les photographier en prostituées, chacune d’elles venant poser avec tenue et accessoires. Sans tomber dans le travestissement, chaque copine dévoile concomitamment une parcelle de sa personnalité et une part de ses projections. Certaines s’offrant à la prise de vue dans un jeu certain, reproduisent les images banalisées du commerce sexuel. D’autres, plus troublées dans cette posture, affichent le tragique de la situation, la rudesse des représentations. Le titre, plein d’humour, joue également un rôle de déclencheur dans le regard que le spectateur peut porter sur ces photographies. La connaissance du jeu implicite rompt une certaine réprobation morale et/ou un voyeurisme associés à des reportages sur la prostitution. Le caractère factice et fictionnel revendiqué renvoie le spectateur à la crédulité ou au sens critique qu’il peut développer face aux images.
La photographe l’affirme : « la Guerre de Troie n’aura pas lieu » (2000). Lors d’une résidence à Göteborg en Suède, elle met en scène trois hommes dévêtus, ne portant que slip ou pantalon, munis d’armes et de protections guerrières en plastique. Dans cette saynète grotesque de vikings de pacotille luttant contre un adversaire invisible, les mâles n’ont pas peur du ridicule et assument le jeu. A nos yeux leurs efforts sont pourtant vains et la guerre des trois n’aura pas lieu.
Dans « Sans titre » (2018), une jeune fille en contre-jour positionne devant son corps des tenues féminines variées et adopte des attitudes qu’elle associe à ces robes. Dans une fraîcheur de jeu, elle donne vie à des personnages, dans un intérieur à peine évoqué, ouvert sur un vaste ciel bleu. La scène réaliste prend place dans un véritable décor où se conjuguent l’intérieur et l’extérieur, la fenêtre ouverte sur le monde. Tout devient équivoque et imbriqué : le réalisme et la théâtralité, l’intériorité et les apparences, l’être et le paraître…
C’est parce qu’elles sont construites avec précision et harmonie entre les notions présentes, que les photographies de Virginie Marnat deviennent des évidences visuelles. L’analyse d’images de toute nature, la connaissance des potentialités du médium photographique et l’observation du monde qui l’entoure, amènent l’artiste à créer des représentations oscillant entre le vraisemblable et l’imaginaire. Sans doute, le rapport étroit que la photographe entretient avec la peinture n’y est pas étranger. Jouant des effets de lumières, contrastes et matières, l’artiste révèle dans ses prises de vue une réalité non visible. Légèreté et volupté d’étoffes chatoyantes mêlées à des fragments de silhouette féminine dans « Bleus » (2018), paysages étranges et irréels d’une campagne au crépuscule (« Un jour tu verras » (2005)… Lorsque Virginie Marnat enregistre ce qu’elle a sous les yeux, elle lui confère, dans un caractère très pictural, une part de mystère. Elle rend visible un invisible à notre regard ou nous invite à reconstituer en notre for intérieur un non-représenté. La photographie se fait allégorie, tableau, incluant toutes les dimensions de l’image dans le sens du terme anglais « picture ». Lorsqu’elle met en scène et construit littéralement des représentations, le rapport au modèle, l’agencement d’accessoires, la manipulation de lumières… sont autant de liens directs avec la matière, parallèles au geste du pinceau et au contact de la matière picturale sur la toile. De tous ces éléments, prélevés dans le réel ou orchestrés, naissent des unités visuelles, illusions d’une réalité, dans lequel le spectateur est invité à s’inclure.
Le caractère équivoque est présent de manière inattendue dans des représentations qui pourraient être perçues comme banales ou classiques. Les « Arbres » (2018), semblent photographiés comme des individus, dans toute leur ampleur, en êtres vivants surgissant du brouillard. L’atmosphère voilée invite à les considérer dans leur globalité, aérienne et souterraine.
Dans les « guerriers » (2012), Virginie Marnat crée une représentation symbolique proche de la fable. De jeunes hommes vêtus d’un drapé sont couchés, les yeux fermés, esquissant parfois un mouvement, irradiés d’une lumière aveuglante. Ces personnages présentés hors de tout contexte, semblent en sommeil ou esquissant un réveil. L’absence de toute notion d’espace ou de temps confère à la scène un caractère universel et intemporel. Directe, l’image imprègne l’esprit par sa clarté, faisant appel à une part intime apte à résonner en chacun.
Créant des ambiguïtés visuelles, allégories ou oxymores, Virginie Marnat interroge continuellement la véracité de l’image photographique, avec délicatesse et subtilité, nous laissant notre libre arbitre. C’est en notre for intérieur que se développent un trouble face aux représentations, la possibilité de voir les illusions complexes qui nous façonnent et de lever le voile.
Virginie Marnat vit et travaille à Dijon. Formée à l’école des beaux-arts de Dijon, elle a étudié plus spécifiquement la photographie au Brooks Institute of Photography en Californie, aux Etats-Unis. Elle a réalisé en 1999/2000 une résidence à Göteborg en Suède. Son travail est présent dans les collections du Consortium de Dijon, du Frac Bourgogne, de la Fairpath Foundation (Etats-Unis).
Caroline Lossent – Musée Nicéphore Niépce
Virginie Marnat – D’un jour à l’autre
16.02 à 19.05.2019
Musée Nicéphore Niépce
28 Quai des Messageries
71100 Chalon-sur-Saône