Les Maisons de ventes Millon et Baron Ribeyre consacrent à nouveau, les 13 et 16 juin 2017, deux vacations aux photographies rassemblés par le galeriste Gérard Lévy (1934-2016).
Au début des années 1970, Gérard Levy me montra quelque chose d’effroyable : un album de photographies prises par la police montrant des scènes de crimes violents dans les années 1900. Des victimes étendues dans des pièces sordides. Le chaos. Du sang partout. Il jubilait lorsque je tressaillis. Il adorait tester les Américains.
Voyais-je ce qu’il voyait ? Voyais-je, au-delà de la brutalité, ce qui l’avait poussé à acheter cet objet ignoble dans cette boutique miteuse, La Lanterne Magique ? Voyais-je que le crime était stupide, splendide, tout simplement humain ? Je crois que c’est pour cela qu’il collectionnait et vendait des photos. Il n’était pas seulement en train de se construire une clientèle dans l’arrière-boutique de son magasin d’Antiquités asiatiques situé rue de Beaune. Il créait un cercle de personnes comme lui, pour lesquelles l’œil est une version plus mystérieuse, plus imaginative du cerveau. Là où chaque image mène le spectateur au-delà du visible.
Chaque fois que j’étais à Paris je venais voir l’album de police de Gérard, frissonnant, comme s’il s’agissait d’une bête féroce dans un zoo. J’y revenais sans cesse. Après vingt-cinq ans, c’était devenu une partie de moi-même. J’écrivis un livre à ce sujet – Crime Album Stories (2000). C’était inévitable. On m’avait appris à aimer cela.
Gérard était unique – un marchand d’art qui aimait enseigner. Regarder était pour lui un art en soi. Il en faisait du théâtre. Il mettait en scène ses présentations de photographies exactement de la même manière que lorsqu’il m’apprit à manger le fromage dans le cadre d’un repas français. Ne te jette pas dessus, chérie !
Commence par le plus doux et graduellement, doucement progresse vers celui qui te pique la langue et te fait éternuer ! C’était ainsi qu’il nous montrait des photos. J’ignore s’il réalisait à quel point il nous enseignait également l’histoire, la géographie, les coutumes, la philosophie morale et l’étrangeté du comportement humain. C’était sans importance. Ses ventes à des conservateurs et des collectionneurs commencèrent à établir les fondations du marché de la photographie dans les années 1970, pas seulement parce que ce qu’il proposait était beau et rare. Les acheteurs venaient pour être éveillés et émerveillés.
C’était aussi le cas des spécialistes. Quand les Musées Nationaux m’invitèrent à être la conservatrice de la section photographie de l’exposition l’Art en France sous le Second Empire, en 1978, je me suis tournée vers Gérard. « La photo est le plus grand art que produisit le Second Empire. Cette section doit être comme aucune autre auparavant », lui dis-je. Soudain, il me montrait des Nadar et Le Gray uniques, sortis de sa cave. « Un choix royal ! », s’écria-t-il. Ça l’était. Parmi les quarante-deux photographies que j’empruntais, seize appartenaient à Gérard. Le Monde adora. Gérard me dit : « On ne te demandera plus jamais de le faire ».
C’était son plus grand compliment. Signifiant que ce que nous avions accompli dépassait de loin ce à quoi s’attendaient ou rêvaient les musées. Et pourquoi pas ? Tout ce que Gérard faisait en matière de photographie était ainsi.
Eugenia Parry
Eugenia Parry est une historienne de l’art et critique qui vit aux Etats-Unis.
Ventes de la collection Gérard Lévy
Mardi 13 juin 2017 à 14h30
Photographies pour tous – Les clients d’œil de Gérard Lévy
Photographies insolites
Vendredi 16 juin 2017 à 14h30
L’excellence d’un regard II
Photographies de collection
Salle V.V.
3 rue Rossini – Quartier Drouot
75009 Paris
France