Dans le cadre de la Triennale d’Art Contemporain de Vendôme, l’artiste Dorothy Shoes présente jusqu’à la fin octobre 2015, sa nouvelle série intitulée « ColèresS Planquées« . ColèresS planquées est l’anagramme de sclérose en plaques. Atteinte de cette maladie, la jeune photographe a demandé à trente trois femmes de son entourage plus ou moins proche de bien vouloir interpréter ses représentations personnelles de cette pathologie lourde ainsi que chacune de ses peurs liées à ses facteurs dégénérescents. Dite incurable, la sclérose en plaques touchent plus de 300 000 personnes en Europe.
Je ne suis pas à proprement dit photographe. Je sais à peine ce qu’est une focale ou une vitesse d’obturation. Je viens avant tout du monde du théâtre et de la mise en scène. De façon plutôt punk, j’utilise la photographie comme outil, la rue comme studio. Il me permet cette rencontre entre le témoignage social et la mise en scène plasticienne que l’on retrouve dans l’ensemble de mon travail photographique. Atteinte de sclérose en plaques, pour ColèresS Planquées, je demande à trente trois femmes de mon entourage de bien vouloir interpréter mes représentations personnelles de la maladie ainsi que chacune de mes peurs liées à ses facteurs dégénérescents. Ces femmes ne sont pas modèles, elles sont graphiste, monteuse vidéo, responsable informatique, régisseuse, conseillère médicale, chercheuse, sans emploi, directrice d’association, analyste fonctionnel, éditrice numérique ou encore neurologue…. Je les côtoie, de près ou d’un peu plus loin, au moment des prises de vue, certaines ne sont même pas au courant de ma pathologie, la plupart du temps invisible. Aucune d’elle n’est atteinte de sclérose en plaques. Un travail illustratif, une série d’autoportraits distancés. Trente trois illustrations du rapport intime que j’entretiens avec mon handicap.
Il est 16h12 quand tu sors de chez toi. Tu fais défiler les quatre étages, le jardin, la grille, la rue d’en bas, les autres marches, le kiosque à journaux, le tourniquet du métro, les autres autres marches, tu arrives sur le quai, les portes des wagons se ferment. Ca siffle, tu pestes, tu t’assois.
A l’habitude de ta cadence quand elle est en retard, tu te dis qu’il doit être 16h19.
L’inscription du temps c’est rassurant, alors tu lèves la tête vers l’horloge en espérant ne pas avoir dépassé les 16h20. Mais quand tu regardes le cadran. Tu ne vois rien dedans.
Quand ces machines sont en panne, tu le sais, le rectangle est totalement noir.
Mais là, en concentrant tes pupilles tout en plissant tes paupières pour préciser ta cible tu parviens à distinguer une lueur orange à l’intérieur du rectangle. Floue, elle vibre, elle scintille, elle oscille, elle t’éblouit. Alors tu te lèves, tu t’approches de l’horloge et tu distingues la silhouette vacillante de chiffres illisibles. C’est ta mémoire qui voit que ce sont des chiffres, pas toi.
Tu te frottes les yeux, les clignes, les fermes plus longuement, les rouvres mais la lueur orange danse toujours, l’arrogante ! Tu t’approches alors encore. D’un mètre. De deux. Mais non.
Encore. Encore. Encore un peu.
C’est finalement sous le panneau que tu constates le retard sur ton retard. Il est 16h23.
Ensuite, la veille de tes trente-trois ans, on t’apprend que ces poignes invisibles qui t’arrachent les talons dès que tu te lèves et ces fourmis qui rôdent sournoisement autour de tes orteils puis qui
déambulent frénétiquement depuis la plante de tes pieds jusqu’à la pliure de tes seins sont, avec tes yeux détraqués, des symptômes typiques. De jour comme de nuit ton corps crépite maintenant comme un cierge magique. Ça tombe bien c’est ton anniversaire. Diagnostic confirmé, acté, validé, officialisé.
Tu es malade. Tu souffles, un souhait, sait-on jamais.
Encore. Encore. Encore un peu. Mais non. Tu es malade.
L’annonce, c’est une rafale brutale prise en pleine face alors qu’on n’a pas mis son k-way.
L’uppercut, sa vitesse, sa puissance. Puis le silence.
Le silence dans sa matière la plus visqueuse qui te cloue au sol le nez dans ta flaque de morve jusqu’à ce que tu t’y noies. Et puis finalement tu ne t’y noies pas. C’est peut-être ça le pire.
Tu digères ta flaque. Tu te ramasses, tu te recoiffes un peu et tu reprends ta marche.
Tu apprends à cohabiter avec toi qui luttes contre toi. Un jeu de corde absurde dans lequel les énergies s’entretuent.
Mais tu manges quand même, tu travailles quand même, tu trottines quand même, tu ris quand même, tu chiales quand même, tu fais l’amour quand même, tu chantes quand même, tu fumes
quand même, tu bois quand même, tu continues de t’extasier quand même devant les courbes du ciel et de pester quand même face au système ferroviaire français. Parce que tu n’es pas morte.
Vu de l’extérieur ton corps est environ le même, vu de l’intérieur, aussi.
Excepté en période de crises. Crises qui dans un langage qui t’est étranger mais que l’on t’oblige à apprendre, ne s’appellent pas crises mais poussées.
Tu décides de ne pas tout mélanger, et de ne jamais céder à cette dénomination. Les poussées tu préfères de loin les laisser au champ lexical de l’aviation.
Ces crises ne fixent pas d’horaire. Elles ne te préviennent pas. Jamais. Elles s’invitent, s’imposent dans l’espace, le temps et le mouvement.
Ca emmerde pas mal la géographie extérieure et intérieure. Il faut composer avec tes anamorphoses alors tu te saisis d’un compas et tu déplaces tes centres. Tu acceptes que la route soit plus longue et plus accidentée pour toi que pour d’autres, car on ne rejoint pas Brest à la même vitesse si l’on prend l’autoroute ou une départementale criblée de nids de poules. Tu entends, jusqu’à nouvel ordre ton autoroute a fermé, OK ?
Et ?
…Et le cerveau plein de trous, tu te mets à la couture
EXPOSITION
ColèresS Planquées
Dorothy Shoes
Du 22 mai au 31 octobre 2015
Manège Rochambeau
Quartier Rochambeau
41100 Vendôme
France
http://triennale-vendome.fr
http://www.dorothy-shoes.com