Le film photographique « Peines » de Valérie Winckler vient de remporter le Prix des Nuits Photographiques 2015. Ce documentaire réalisé en 1991 est une immersion dans le quotidien d’une famille vivant entre prison et cité au tout début des années 90. Aujourd’hui, nous vous proposons de découvrir ce film primé et l’interview de la lauréate.
Peines de Valérie Winckler from Les Nuits Photographiques on Vimeo.
L’Oeil de la Photographie : Comment en êtes vous venue à réaliser ce projet ?
Valérie Winckler : Peines fut ma seconde expérience de travail avec la photo et le son. J’ai publié en 1988 La mort si proche, un livre de photos et de témoignages sur la fin de la vie. Après sa parution, on me demandait souvent de participer à des débats ou à des rencontres avec les soignants. Or pour moi, le plus important était contenu dans le livre. L’idée germa alors de mettre du son sur les photos et je fis un diaporama de 10 minutes qui me servit de support pour ces interventions. C’est comme cela que j’ai découvert la richesse du rapport du son et de l’image fixe.
Après avoir travaillé sur la naissance et la fin de la vie, j’ai eu envie de travailler sur le thème du couple. Comme toujours lorsque je démarre un sujet, je n’ai aucun à priori sur la façon dont je vais l’articuler pour être le plus disponible possible à la diversité des situations et des personnes que je rencontre. L’une des situations que je désirais suivre était celle d’un couple séparé par une peine de prison. Par l’intermédiaire de l’Association des visiteurs de prison je fus mis en contact avec un détenu et sa compagne enceinte et à l’automne 1989, après quelques échanges de lettres et le temps d’obtenir les autorisations nécessaires, je fis la rencontre de Gérard, de Michèle et de leur fils Benjamin qui venait d’avoir 7 ans. J’ai commencé alors à les photographier à la prison et au domicile et j’ai très vite laissé tomber le projet sur le couple pour me concentrer sur leurs vies parallèles. A ce moment là, il n’était pas question de faire des prises de son…
ODLP : Vous avez suivi cette famille pendant 18 mois. Pouvez-vous nous raconter comment s’est déroulé le reportage ?
V. W. : Il n’y avait pas de régularité dans mes visites. Je fonctionnais à l’intuition. Cela dépendait autant de leur disponibilité que de la mienne car photographe à l’agence Rapho, je travaillais pour la presse et pour l’édition. En revanche, pour des raisons administratives, il fallait s’organiser davantage pour les prises de vue dans la prison. Mais, je dois dire que ces autorisations m’ont toujours été accordées de bonne grâce.
Audrey est née fin novembre et la photographie devint pour Gérard et Michèle, un lien supplémentaire. Mon rôle ne s’arrêtait pas d’ailleurs à celui de photographe : la déclaration de naissance d’Audrey, la sortie de maternité, les démarches à la Sécurité Sociale, les appels à toute heure quand Benjamin, dans sa détresse devenait violent… tout m’associait à leur quotidien. Les relations avec Gérard étaient plus complexes. Je pense que s’il avait accepté ce reportage, c’était aussi qu’il espérait en tirer quelques avantages. Il avait tendance à vouloir orienter ma démarche et il fallait continuellement tout en étant ferme, veiller à ne pas briser sa confiance.
Au bout de quelques mois, frappée par la puissance des sons dans une prison, j’ai décidé de renouveler l’expérience du montage photos et son. J’ai demandé à Henri L’Hostis, ingénieur du son, de m’accompagner certains jours aussi bien à la prison qu’au domicile. Nous n’avons que rarement travaillé en tandem car je donnais la priorité tantôt au son, tantôt à la photographie.
Comme anecdote je me souviendrai toujours du retour à la maison de Michèle après la naissance d’Audrey. Je suis passée la prendre un jour, en début d’après-midi, et nous avons récupéré Benjamin au passage chez sa nourrice. Lorsque nous avons ouvert la porte de l’appartement, Michèle a poussé un cri : leur chatte, que j’avais nourrie régulièrement pendant son absence, venait de mettre bas cinq chatons dans le lit du bébé ! Sur injonction de sa mère, Benjamin s’est échappé les bras chargés pour descendre les mettre à la poubelle. Je l’ai retrouvé, assis sur les marches, dans le hall de l’immeuble, avec le couffin, la chatte et les chatons, entourés d’enfants et de voisins apitoyés. Je suis rentrée chez moi avec la famille chat. Je n’avais pas pris mon appareil photo ce jour là…
Autre anecdote : Nous sommes arrivés, Henri L’Hostis et moi, pour photographier et faire du son dans la salle où une vingtaine de détenus travaillaient à la comptabilité. Lorsque j’ai désigné Gérard, Henri me dit : je le connais ! Je ne le crois qu’à moitié et attends la fin de la séance pour mettre cette affirmation au clair. Mais, effectivement, Henri comme lycéen passionné de radio et Gérard à je ne sais quel titre, travaillaient pour la radio locale à une émission qui récupérait des fonds pour personnes en difficulté…
Pendant seize ans, je n’ai plus eu de contact avec Benjamin et sa famille. J’avais besoin de souffler… J’ai essayé quelques années plus tard de les joindre au téléphone mais j’entendais le disque « il n’y a plus d’abonné… ». Ma question « que sont-ils devenus » demeurait sans réponse. Sans doute aurais-je pu, si j’avais pris le temps, avoir des nouvelles par les services sociaux de la mairie. Mais je ne l’ai pas fait. Et puis, en mai 2007, peu de temps après avoir fait mon site internet, je reçois un long mail de Benjamin me racontant son parcours. Il se trouvait en quatrième année d’école d’ingénieur. Nous nous sommes retrouvés avec bonheur. J’ai aussi eu l’occasion de revoir Michèle et Audrey, et de faire la connaissance de ses deux sœurs nées plus tard. Nous continuons à nous voir. Benjamin et sa compagne ont eu une petite fille. Je leur ai dédié ce prix.
ODLP : Ce film documentaire a été réalisé il y a presque 25 ans, il a été primé plusieurs fois dans les années qui ont suivi sa réalisation. A cette époque, quelle visibilité avait ce genre de format ? Est-ce plus facile aujourd’hui ?
V. W. : Il y a 25 ans, pour réaliser un tel film, il a fallu toute l’aide d’une équipe enthousiaste et de structures comme Publimod’Photo ou Duran et Duson. A l’époque, de nombreux tirages étaient nécessaires pour travailler au banc-titre simple ou animé… J’avais aussi reçu une aide de la Caisse des Dépôts et Consignations, mais ce n’est qu’en fin de montage que j’ai trouvé Gédéon, un coproducteur pour Duran. Arte refusa Peines qu’il ne trouvait pas assez « systématique » et finalement ce fut Anna Glogowski, responsable des documentaires sur Canal Plus qui l’acheta.
Si la réalisation d’un tel film est plus simple aujourd’hui, je ne suis pas sûre que sa diffusion soit plus facile. Formatage, audimat et dictature de la ménagère ne sont pas très favorables à ce genre de documentaire. A part la diffusion sur Canal Plus, il a été sélectionné dans plusieurs festivals mais le seul prix qu’il ait reçu a été au Festival Vidéo Psy de la Villette en 1992. Le format final, un master numérique, interdisait l’accès à certains festivals comme le Festival du court–métrage à Clermont Ferrand ou Les Films de Femmes de Créteil pour lesquels le support film était obligatoire. Si le Cinéma du Réel et Lussas l’ont sélectionné en 1992, il a fallu attendre 1993 pour la Mondiale du Québec, Perpignan et le Mois de la Photo et 1996 pour Vu sur les Docs à Marseille. En revanche, les photos ont été exposées et le film projeté lors d’événements tels que le colloque organisé à l’occasion du Bicentenaire du Code Pénal à la Grande Arche de la Défense ou lors de différents débats autour de la prison.
En lisant sur L’Oeil de la Photographie, l’appel à candidature pour les Nuits Photographiques, je me suis dit pourquoi pas ! Au fil des années, je réalisais quePeines était précurseur avec quelques autres films photographiques comme La jetée de Chris Marker. En réalisant Peines, je ne cherchais pas la nouveauté et je n’étais même pas vraiment consciente du fait que le film était original. C’était vraiment le rapport très subtil entre le son et l’image fixe qui m’intéressait. Il me semblait que c’était la meilleure façon de donner à l’histoire sa force pour faire comprendre ce que signifie dans une famille une peine de prison. Peines ne nécessite pas de commentaires. Les paroles valent plus qu’un discours. Il me bouleverse encore aujourd’hui…
FESTIVAL
5ème édition des Nuits Photographiques
Du 17 septembre au 12 décembre 2015
Soirées de projections : les 17, 18 et 19 septembre 2015
Pavillon Carré de Baudouin
121 Rue de Ménilmontant
75020 Paris
France
http://lesnuitsphotographiques.com
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