Uwe Ommer a mis quatre ans à fabriquer le plus beau et le plus grand kaléidoscope qui soit. Un dépoli, un tube, un miroir, une lentille, un peu d’astuce ; le système est rudimentaire et nous émerveille depuis des siècles. Mais, s’il est magique, ce qui nous fascine en fait, ce n’est pas le système, mais l’infini des combinaisons qu’il permet à partir d’éléments étonnamment simples. Ces éléments, Uwe Ommer les a glanés, chemin faisant, au cours des rencontres. En fait, il les connaissait déjà avant, depuis plus de trente ans qu’il photographie des gens, et avant même, parce qu’il a cela en lui.
Alors il a mis pêle-mêle, derrière son dépoli, tout ce qui fait des familles ; des enfants, des voiles, des nez percés, des pieds nus, des vêtements noirs, des chapeaux masculins, des coiffures féminines, des tissus, des colliers, des moustaches, des barbes, des animaux domestiques, chiens, chats, poneys, chèvres ou éléphants, des armes, des couleurs, des peaux sombres, claires, diaphanes, mates ou brillantes, un brin de polygamie, un zeste d’homosexualité, une bonne dose d’hétérosexualité, des graines d’endogamie, de la poudre d’exogamie, du métissage, des enfants, des traditions, de l’obscurantisme, des migrations, de la solitude, des chairs dénudées, des cous rallongés, des sourires, de la beauté, de la musique et ses instruments, quelques autres éléments encore et surtout de l’amour, beaucoup d’amour.
Maintenant que vous avez l’objet en main, agitez-le un peu, mettez votre œil contre la lentille et tournez-le ; vous verrez que dans le kaléidoscope d’Uwe, le monde vous apparaît autrement que ce que vous imaginiez. Vous allez cesser de penser que vous êtes différents de ceux qui sont loin de vous ou qui ne partagent pas votre culture ou vos convictions. Vous allez voir comment, par mille petits détails, nous sommes si semblables et si différents, et ce de manière aléatoire, et non comme on vous l’a appris jusqu’à présent, sur la base de la couleur, de la langue ou de la religion. Regardez les détails, les expressions, les tendresses, les fatigues, les regards inquiets ou sereins, les mains calleuses, agiles, abîmées ou entretenues, les rides, les mots retenus, les sourires esquissés. Ouvrez les yeux et ne vous laissez pas aller aux soi-disant évidences. Vous allez ainsi jouer au jeu des différences relatives et des similitudes aléatoires. C’est très enrichissant et cela remet pas mal d’idées reçues à leur place : au placard.
Uwe Ommer, avec ce travail de titan qu’il a réalisé sur quatre ans, nous ouvre les yeux sur nous-mêmes. Il met en lumière, au-delà de nos ruptures, de nos difficultés à vivre ensemble, ce qui est notre chance de perdurer sur cette planète. Il n’a pas photographié les guerres, les charniers, les viols, l’incommensurable incapacité des hommes à devenir humains, ni les fruits de nos bas instincts ; il a photographié ce qui nous unit, ce qui nous permet de nous perpétuer, ce qui dépasse notre incompréhension du monde et des autres, l’amour, qui va, même de manière incertaine, avec le désir, le plaisir et le bonheur.
Regardez ces visages, et vous retrouverez une grand-mère, un ami, un oncle dans des gens que vous imaginiez à mille lieues de vous. Vous verrez à quel point nous sommes proches, semblables et si différents. Cette expérience nous apprend à regarder les autres autrement, à ne pas nous arrêter sur l’accessoire qui nous empêche de voir en simplifiant à outrance.
Regardez tous ces détails qui créent une diversité autre que celle des préjugés et des barrières. Il fallait l’œil amoureux d’Uwe pour faire ce portrait de l’humanité de l’an 2000. Depuis quatre ans, je tourne le kaléidoscope d’Uwe ; je ne m’en lasse pas et il ne cesse de m’enrichir.
Olivier Delahaye
Olivier Delahaye est un écrivain, réalisateur, scénariste et producteur. Il vit et travaille à Paris.
Uwe Ommer, 1000 Families
Publié par Taschen
20€
