Pour le grand auteur symboliste Georges Rodenbach (1855-1898), la ville était l’arrière-plan, le paysage et le sujet dans son chef-d’œuvre Bruges-la-Morte (1892). Son protagoniste Hugues Viane fuit la décadence de la grande ville vers une petite ville endormie où règne une religiosité étouffante. À Bruges, Viaene cherche du réconfort pour la perte de sa compagne, mais son asile devient le lieu de sa chute.
Le conte est apparu sous forme de feuilleton dans le journal parisien Le Figaro, comme cela était courant avec de nombreux livres à l’époque. La première édition sous forme de livre était novatrice: elle est le premier roman dans lequel des illustrations photographiques faisaient partie intégrante du récit. Curieusement, Rodenbach n’a pas opté pour des photographes contemporains, les Pictorialistes comme Marissiaux, Misonne, Alexandre, Dubreuil ou Demachy, mais a choisi des images du catalogue du célèbre studio parisien et éditeur (par exemple de cartes postales) Neurdein. Pour la couverture, Rodenbach a fait appel au grand artiste symboliste Fernand Khnopff (1858-1921) – (souvenez-vous de l’exposition qui lui était consacrée au Petit Palais, oui la dernière juste avant le premier lockdown), et elle a renforcé l’esprit du symbolisme à travers l’œuvre.
Bruges n’est plus la Morte – aujourd’hui, la ville est un centre économique avec une gamme d’activités très diversifiée et plus de 8 millions de touristes chaque année. Et puis vient le mot infâme: Covid. Fini les visiteurs, les entreprises sont obligées de fermer leurs portes, les résidents ne sont autorisés à sortir que pour les déplacements essentiels dans une zone limitée.
Cela peut paraître étrange – le premier lockdown était le biotope parfait pour Nele Van Canneyt (1973): son travail se caractérise par un monde silencieux où la présence humaine est un détail sans importance, un passant. Cela vous donne le sentiment d’aliénation, d’un monde surréaliste. Nele a un faible pour les villes, de l’Amérique latine au Canada en passant par Cuba ou de la Russie au Japon. En tant que voyageuse impatiente, il doit être difficile pour elle de s’asseoir à la maison.
Juste au moment (par hasard?) de la première vague du virus Corona, elle est chargée de photographier Bruges – et c’est là que commence le parallèle avec Rodenbach. Les rues sont mortes, les portes fermées, pas un chien errant à voir. Et ainsi la photographe redécouvre Bruges, dans sa désolation. Elle erre dans la cité médiévale, à travers la banlieue, le port de Zeebrugge, le long de la digue au bord de la mer. Elle découvre des endroits dont elle ne sait plus si elle y est déjà allée, elle découvre des sites bien connus sous un tout nouveau point de vue. Les rues tranquilles redeviennent décor, sujet et miroir. La ressemblance avec Rodenbach se poursuit dans le titre de l’exposition Inner Land . Il y a une interaction subtile: les sentiments colorent la perception et les images de la photographe, et à travers ce qu’elle voit, elle entreprend un voyage intérieur.
Van Canneyt aime se promener dans les rues. Il lui semble que le jour elle attend la nuit, peut-être que c’est un désir ardent de la couverture de la nuit. Elle ne cherche pas, mais attend le moment, la coïncidence des circonstances qui compose l’image – une description de la sérendipité. Tout au long de son travail, on aperçoit des images bien connues, ici une toile de fond d’Edward Hopper, là un voyageur de Walker Evans ou une femme solitaire d’Eve Arnold. Mais Nele Van Canneyt construit sa propre œuvre, son propre langage visuel, ses compositions. Elle pense à un livre en ce moment – s’il sort, je vous assure que je prendrai beaucoup de plaisir à le parcourir et à le chérir.
Nele Van Canneyt: Inner Land
Jusqu’au 25 04 2021
Museum Arentshuis, Bruges, Belgique
Dijver 16, Brugge 8000 – chaque jour de 09:30-17:00
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https://www.museabrugge.be/fr/calendrier/expositions/nele-van-canneyt-op-pad-in-leeg-brugge
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