En avril 2024, un nouveau musée a ouvert ses portes sur le docks du port de Kristiansand en Norvège, le Kunstsilo Museum. Réunissant trois collections muséales différentes, dont la Tangen Collection, ce musée d’art contemporain a d’ores et déjà suscité des vivats pour son architecture accomplie et sa programmation. Sans aucune exagération, Kunstsilo pourrait bien être considéré comme l’une des institutions culturelles les plus séduisantes de la région nordique.
Kunstsilo est avant tout une réussite architecturale, fruit de la rénovation d’un ancien silo à grains en activité jusqu’en 2008. Construits en 1935 sur la jetée ouest de l’île d’Odderøya, les silos furent imaginés par les architectes Arne Korsmo et Sverre Aasland, et ont été considérés comme la première architecture moderniste en Norvège. Avec une capacité de 15 000 tonnes de grains, les 15 cellules cylindriques de 38 mètres de haut accueillaient tous types de grains produits dans la région.
En 1939, Arne Korsmo et Sverre Aasland ont reçu pour cette réalisation architecturale le certificat du Fonds Houen, la plus haute distinction norvégienne en matière d’architecture. Avec comme exemple Buffalo City (« Silo City ») ou les rives du Nord de la France et de la Belgique, les silos en béton sont devenus des phares laïques de nos paysages, le premier étant construit en 1899 dans le Minnesota, et devinrent au tournant de la Seconde Guerre mondiale les « prémices de l’ère nouvelle », des mots de Le Corbusier. L’architecte français louait leur fonctionnalité comme leur impact visuel vertical symbolique, tant et si bien qu’une liste de silos à grains en béton illustre dès les premières pages son ouvrage, Vers une architecture (1923).
D’autres silos ponctuent les rives de Kristiansand, dont certains reçoivent encore du pétrole et des liquides chimiques, mais ceux de Korsmo et Aasland sont rapidement devenus un symbole de modernité en Norvège. Les silos demeurent dans la cinquième ville du pays une source de fierté, au même titre que peuvent l’être l’église en béton Notre-Dame de Royan en France, ou plus imposant, le Guggenheim de New York. Et leur transformation par le studio Mestres Wåge Arquitectes en un musée épuré comme élégant dit aussi un passage de ce qui nous semblait hier moderne (un stockage agricole) en une autre forme de modernité (un musée).
Nouvelle directrice du Kunstsilo, à la suite de Reidar Fuglestad, directeur du musée du comté de Vest-Agder, qui supervisa la rénovation du silo, Maria Mediaas Jørstad décrit les contours d’un musée ambitieux. « Le personnel du musée est passé de 40 à 150 personnes et souhaite s’inscrire au cœur de la scène artistique locale. Le musée est voisin du Kilden Performing Arts Centre et a participé au festival Fragments avec une douzaine d’institutions locales, comme le Kristiansand Kunsthall ou l’université d’Agder ».
Un autre axe de développement du musée sera sa position en tant qu’institution en Norvège comme en Europe du Nord. Le Kunstsilo a déjà noué des liens avec dix-sept musées européens qui s’intéressent, de près ou de loin, dans leurs collections et leur programmation, à l’art nordique, à l’image du Nasjonalmuseet et du musée Munch à Oslo comme du Moderna à Stockholm. « Nous sommes à la recherche d’autres partenariats qui permettront de nouvelles conversations, de nouveaux croisements pour nos collections ».
Le musée est également très volontaire dans ses programmes éducatifs. « Nous avons appris que 75 % des enfants venant en bus de notre vaste région n’avaient jamais mis les pieds dans un musée auparavant. Mais nous avons également découvert que 85 % d’entre eux souhaitaient revenir après leur première visite ! » De ce point de vue, le Kunstsilo joue déjà un rôle central en tant qu’institution locale, démocratique et militante. « Il n’y a pas si longtemps, le département norvégien de la culture a publié un rapport sur les États-Unis », poursuit Maria Mediaas Jørstad. « Ce rapport révélait que seulement 1 % des personnes qui n’avaient pas été exposées à l’art dans leur enfance, qui n’avaient pas eu la chance de découvrir un musée, votaient. En revanche, 40 % d’entre eux votaient lorsqu’ils avaient pu découvrir l’art dans une institution. L’idée principale de Kunstsilo est d’ouvrir à l’art, aux idées, aux opinions, aux rencontres, de se connaître soi-même comme de s’ouvrir à sa société, et cela commence avec les enfants ».
Le Kunstsilo rassemble trois collections différentes : deux héritées des anciens musées locaux – la Southern Norway Art Collection et la Christianssands Billedgalleri – et la Tangen Collection. En 2015, Nicolai Tangen a fait don de sa collection d’art à sa ville natale, Kristiansand. L’année suivante, le droit perpétuel de disposer des œuvres a été donné à l’ancien Sørlandets Kunstmusuem sous les auspices de l’AKO Art Foundation. La collection de Tangen est aujourd’hui considérée comme le plus grand fonds moderniste nordique et rassemble plus largement des œuvres de la scène nordique (Norvège, Finlande, Suède, Danemark et Islande) de la fin du XIXe siècle à nos jours.
« Notre programme prévoit de présenter cette collection dans le cadre d’expositions dynamiques, à l’exemple de l’exposition sur le modernisme qui se tient actuellement », explique Maria Mediaas Jørstad. « L’exposition de Mette Tronvoll est également un bon exemple d’une artiste norvégienne soutenue tout au long de sa carrière par Nicholai Tangen. Elle incarne notre volonté de défendre une scène nordique », tout comme l’artiste finlandaise Elina Brotherus qui viendra au Kunstsilo au printemps prochain. La collection évolue dans de nombreuses directions, et la photographie demeure l’un des axes forts, avec des figures éminentes comme Elina Brotherus, Dag Alveng, Tiina Itkonen, Tom Sandberg, Kåre Kivijärvi, Christer Strömholm, Anders Petersen, Pentti Sammallahti, Sune Jonsson, Eva Klasson.
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