Il y a 25 ans Yann Layma, qui photographie la Chine depuis 1985, se rend dans le Yunnan pour chercher un sujet et trouve dans un magazine de l’association des photographes une petite photo en noir et blanc qui représente des rizières en terrasse de Yuanyang. A l’époque, c’était encore une région fermée au tourisme, peu connue du monde extérieur. Intrigué par ces rizières, Yann Layma obtient auprès de l’ambassade de Chine à Paris une permission spéciale pour aller étudier le terrain à Yuanyang. Son reportage de 1993 publié dans divers magazines, avec notamment une photographie verticale des rizières suspendues, a fait forte sensation. Pour la première fois le monde, y compris le public chinois, découvre ces rizières en terrasse, saisies « en couleur » en plus! Cette photo servira de couverture pour son gros livre « Chine » publié par La Martinière en 2003. Depuis lors le canton de Yuanyang est devenu le mot de ralliement des amateurs et des professionnels de photographie de paysage. En 2013 les rizières en terrasse de Yuanyang entrent au patrimoine mondial de l’UNESCO. L’année suivante, une première biennale de photographie se tient à Yuanyang dans le but de promouvoir et de préserver ces rizières en terrasse, avec entre autres une exposition de Yann Layma.
Cette année a lieu la deuxième édition de ce festival de photographie si particulière, qui attire des milliers de photographes au mois de mars (saison idéale quand les rizières sont gorgées d’eau).
La cérémonie d’ouverture du festival se tient au village de Xinjie dans le canton de Yuanyang, sur la place publique bordée par une vallée spectaculaire d’où montent les nuages qui viennent régulièrement rafraîchir la température brûlante d’un ensoleillement ardent. A 2000 mètres d’altitude, les spectacles de chants et de danses des minorités ethniques locales (principalement des Yi et des Hani) se déroulent sur la grande scène après les interminables discours officiels, tandis que la population locale et les touristes contemplent à loisir les expositions de photo en plein air. Les officiels et dirigeants de l’association de photographes du Yunnan délivrent ensuite prix et récompenses aux gagnants de divers concours (paysages et humanités, photographie au téléphone portable, etc.), dont on peut voir certains échantillons ici.
Un autre site d’exposition se situe à deux heures de route montagneuse à Duoyishu, fameux pour ses levers de soleil. Ce site a même créé un hôtel haut de gamme en bordure de route, dont les chambres ont vue sur l’étendue formidable de rizières, complété par une promenade-observatoire qui serpente sur trois niveaux. Les amateurs de trépied et de gros téléobjectifs aux filtres plus sophistiqués les uns que les autres se battent pour établir leurs postes de combat… et négligent presque les œuvres exposées sur des panneaux en plein soleil. Un autre site appelé « La Gueule du Tigre » – Laohuzui, représente la plus grande plateforme d’observation des rizières du Yuanyang,
Le spectacle des rizières « suspendues » de Yuanyang, sur des pentes de 15 à 75 degrés (certains paliers atteignent plus de trois mille niveaux !), suscite d’abord un sentiment d’admiration pour la grandeur du peuple Hani dont les agriculteurs, depuis plus de mille ans, à main nue, à l’aide seulement de buffles d’eau et grâce à l’abondance de sources d’eau non polluées, ont sculpté à flanc de montagne ces terrasses de culture pour assurer leur subsistance. La réflexion qui survient simultanément concerne aussi leur « sustainability » – soit viabilité de cette culture, quand la Chine traverse une phase irréversible de migration depuis les terres rurales intérieures vers les côtes urbanisées, notamment de toute une génération de jeunes chercheurs d’emploi attirés par les offres dans les usines et les chantiers de construction des villes et encouragés par les autorités qui poussent à l’accession à la propriété afin de soulager le surplus d’offre immobilière dans les villes.
Conséquence visible dans les villages traversés au cours de ce festival : l’on peut observer une population de cultivateurs hommes et femmes, plutôt âgés, entourés seulement de leurs petits-enfants, un phénomène généralisé de fossé de « génération gap », dans le sens de l’absence de la génération du milieu partie travailler en ville. L’état tente de soutenir la viabilité de ces cultures par des subventions mais on peut se demander si cela représente la meilleure solution. L’afflux de touristes non contrôlé apporte déjà de la pollution, la multiplication de chantiers sauvages pour convertir les gîtes ruraux en hôtellerie, des risques de drogue et de maladies sexuelles, bref, les maux classiques de la cité dans les zones rurales reculées. Dans ces conditions la jeunesse est-elle encore motivée à descendre et à remonter chaque jour les terrasses, à trimer dans l’eau et la boue avec ses buffles, à réparer et entretenir les murs des terrasses, à planter et récolter manuellement le riz de Yuanyang dont le prix au kilo (très bas) n’est pas plus élevé que celui du riz cultivé industriellement dans le nord-est de Chine ?
Les expositions de cette biennale de la photographie de Yuanyang consistent principalement à laisser s’exprimer les photographes de la région, d’où ces concours de photographie de paysage (en majorité des vues de rizières au lever du soleil ou au crépuscule), et des documentaires sur la vie des cultivateurs, sur l’artisanat et les coutumes des ethnies Yi et Hani. Nous avons sélectionné les gagnants de médaille d’or et d’argent et privilégié les séries telles « Une année dans les rizières », « le marché dans les nuages » et « la poterie à la mode ancienne », toutes trois donnant un aperçu représentatif des peuples Yu ou Hani qui vivent de ces rizières.
Parmi les sujets exposés, nous avons aimé une série de portraits composites des paysans de l’ethnie Lisu de Nujiang, un travail entrepris en 2013 par le photographe Zeng Nian qui vit entre la France et la Chine et qui a documenté en long et en large les travaux du barrage des Trois Gorges. Zeng Nian dit qu’il rend hommage à Richard Avedon mais on peut voir aussi une référence à David Hockney. Nous avons apprécié un projet original entrepris par un groupe de photographes et de chercheurs des universités de Tianjin qui consiste en une sorte d’étude de terrain pour la préservation des villages millénaires éparpillés dans toute la Chine, dont voici un exemple avec le village Dachengsuo de la province de Guangdong par le photographe Wang Xiaoyan.