Artiste peintre du dix-neuvième siècle, Charles Nègre (1820–1880) est celui que l’on peut considérer comme un des premiers photographes primitifs français. Il a pratiqué tous les procédés de son temps, daguerréotype, négatif sur papier ou sur verre et inventé son propre procédé de reproduction photomécanique. S’adaptant à ces techniques nouvelles, il a su parfaitement maîtriser cet art tout neuf.
Charles Nègre découvre la pratique du daguerréotype à Paris : “En 1844, assistant à une des séances de l’Académie où furent présentées des images daguerriennes, je fus frappé d’étonnement à la vue de ces merveilles et, entrevoyant l’avenir réservé à cet art nouveau, je pris la résolution d’y consacrer mon temps et mes forces”. Il semble intéressant de rappeler qu’en octobre 1839, Horace Vernet, son neveu Charles Burton et Fréderic Goupil-Fesquet lesté de son appareil à daguerréotyper, s’embarquaient à Marseille pour rapporter des souvenirs d’Orient.
Au cours des deux dernières décennies du vingtième siècle, lors de mes nombreuses visites à Cannes puis à Grasse, Joseph Nègre m’avait fait découvrir quelques daguerréotypes de son célèbre grand-oncle. Ils représentaient des moulages en plâtre, utilisés dans les académies de peinture comme modèles d’études pour élèves, plusieurs vues de Paris, un paysage de montagne, des portraits de famille et d’amis ainsi que quelques reproductions de gravures. Ils n’étaient pas encadrés et de format demi-plaque pour la plupart, sous des passe-partout primitifs ou remontés au milieu des années trente par le neveu de Charles Nègre.
Ces rares essais ont enrichi les collections publiques et privées, à l’exception de ce daguerréotype, qui fût conservé dans l’appartement de Grasse au milieu des peintures de Charles Nègre comme une relique du peintre qu’il avait été avant de devenir un photographe. Il avait été retrouvé par Joseph Nègre à l’époque de nos premiers contacts. En 1985, contre mon avis, il avait accepté d’un amateur provincial, un remontage « à l’ancienne ». Ce traitement heureusement sans conséquence, explique les traces d’oxydation traditionnellement visibles sur les daguerréotypes plus tardifs, réalisés dans la seconde moitié du XIXe siècle mais peu conforme avec la pratique de Charles Nègre. Plus tard, nous découvrîmes également dans un carton conservant des essais de Charles Nègre, un certain nombre de copies daguerriennes de photographies réalisées par lui, à Paris et dans le midi de la France au début des années 1850.
L’existence de ces plaques, mordues chimiquement, apportaient la preuve d’une volonté d’expérimentation, [par un transfert sur plaque métallique, d’images papier issues de la chambre noire] pour la reproduction photomécanique en creux.
A la suite d’Hippolyte Fizeau, d’Alphonse Poitevin ou encore de son contemporain autrichien Christian Joseph Edler von Berres, Charles Nègre avait envisagé l’utilisation du daguerréotype comme support intermédiaire pour obtenir un résultat acceptable parmi les sujets imposés pour le concours du duc de Luynes. Le daguerréotype décrit dans cette notice est resté vierge de toute attaque chimique et il était non encadré en 1984. Après 1850, Charles Nègre commençait à maitriser son propre procédé de reproduction photomécanique : la gravure héliographique sur acier et il ne cherchait certainement plus à utiliser la plaque daguerrienne comme intermédiaire. En absence, dans les archives familiales conservées à l’époque, de toute note écrite ou publiée, il est impossible d’affirmer la destination finale de cette reproduction.
Il était important de découvrir l’origine de cette image sans légende. Horace Vernet, l’auteur du tableau original, fut assez rapide à identifier, mais un certain nombre de détails prouvèrent rapidement que ce n’était pas exactement le miroir de l’oeuvre figurant sur le daguerréotype et que ce n’était donc pas l’image inversée du tableau de 1835. Deux reproductions du tableau, exécutées par aquatinte, furent retrouvées et après une longue et difficile comparaison, ce fut celle de Louis Adolphe Gautier qui devait être considérée comme l’original copié par Charles Nègre. La description technique et la comparaison des trois oeuvres qui suivent est donnée pour information.
Galerie Françoise Paviot / Paris
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