Cogitations Mensuelles de Thierry Maindrault
Un ami photographe que j’apprécie comme étant un des grands reporters photographes, pour sa génération, et qui exposait aux Rencontres d’Arles, cette année, m’a interpellé à propos des sujets traités dans mes chroniques. « Thierry, pourquoi ne parles-tu pas de tous ces commissaires d’exposition, qui débarquent très nombreux, qui nous envahissent littéralement et nous relèguent maintenant dans l’arrière-boutique … ». Il n’a pas tort sur nombre de points. Quantitativement, il est vrai que la démultiplication des commissaires ressemble à une poussée de champignons dans un automne pluvieux et chaud.
Dans les années 2000, nous étions quelques dizaines de commissaires internationaux pour prendre en main quelques expositions photographiques plus ou moins prestigieuses. Il est à noter qu’à l’époque beaucoup de photographes, à travers le Monde, assuraient par eux-mêmes un accrochage simple de leurs œuvres dans des conditions souvent acceptables. Les expositions limitées géographiquement et celles des photo clubs se contentaient d’une présentation regroupée par photographes invités ou par membres du club. Commissaire de quelques expositions dans cette période, j’ai eu l’occasion d’attirer l’attention sur l’importance de la sélection des images à exposer et sur la présentation scénographique desdites images. Ce qui n’était guère dans les mœurs du milieu photographique de cette époque.
Depuis, la photographie, sous toutes ses formes, est devenue incontournable et s’est installée au hit parade culturel. Ce, au fur et à mesure que la compétence photographique et que les photographes se dissolvaient entre les bains chimiques et les photodiodes. Nous avons tous constaté, la montée en puissance des « pseudo mécènes », à partir de 2010, qui se sont imposés dans le paysage. Maintenant, nous avons une invasion de commissaires d’exposition dans la photographie, depuis trois-quatre ans. C’est à croire que cette profession s’est générée spontanément à partir de la covid.
Qu’est-ce qu’une ou un commissaire d’exposition dans la photographie (et ailleurs) ? C’est une personne qui possède un bon bagage de connaissances artistiques nombreuses et variées (autre chose que le bottin mondain de la photographie). Ensuite, les commissaires d’expositions maîtrisent les technicités particulières pour les constructions et les réalisations d’œuvres photographiques. Enfin, ces interfaces entre les images offertes et les publics souhaités se doivent d’apprécier à leur juste valeur la psychologie (sensibilité incluse) des visiteurs potentiels et la gestion économique de leur manifestation (engagements pour objectifs, pas forcément en termes de fric).
Pourquoi collaborer avec un commissariat lors de la production d’une exposition pour un créateur déterminé ou pour une manifestation collective ? Cette question peut sembler grotesque pour certains pour des raisons très diverses. Cela ne sert à rien, je peux le faire tout seul, disent de nombreux photographes, dont de très médiatisés. C’est un poids temporel et financier supplémentaire inutile pour de nombreux organisateurs (d’expositions souvent bricolées dans un hall de mairie ou dans une salle des fêtes). C’est totalement inutile puisque nous avons tout ce qu’il nous faut, en moyens sur place, affirment les conservateurs de musées et autres directeurs d’établissements culturels (généralement publics).
Pourtant, les vrais commissaires qui assurent leur travail comme il se doit (je peux confirmer que c’est éreintant), sont particulièrement utiles dans l’intérêt de tous. En premier lieu pour les publics qui feront l’honneur de venir visiter les images sur place. Pour le, ou pour les photographes qui verront leur travail être magnifié, valorisé et adapté à la manifestation. Pour les organisateurs qui trouveront un seul interlocuteur responsable qui maîtrise très bien l’ensemble des nombreuses et infinies contraintes liées à l’enceinte de l’exposition.
Dans les faits, chaque commissaire procède, en communion avec les auteurs, à la sélection des œuvres. Il garde à l’esprit une véritable objectivité sur la qualité et le contenu de chaque image, sans jamais perdre de vue l’implication de cette image. Cette dernière qui doit s’inscrire dans un ensemble cohérent de photographies, même lorsqu’elles sont hétérogènes. Ce personnage prend en compte les publics pressentis, car rien n’est plus pénible que d’entendre à la sortie : « … je n’ai vraiment rien compris du tout … » ou « … ils me prennent pour un gamin de maternelle … ». Cet intervenant, en fonction des locaux (ou des extérieurs), retenus par l’organisateur, sélectionnera une ou un scénographe en symbiose avec les photographies à pendre aux cimaises. S’il ne peut pas embarquer de scénographe (argent ou temps ou absence de passion) dans la belle aventure, il devra assumer tout seul, avec ses compétences personnelles.
Et, et, en sus de tout cela, il doit absolument rester fixé sur un seul, et essentiel, et unique but : la mise en valeur des photographies choisies (c’est cela le vrai job) pour que les visiteurs se pénètrent de la quintessence des originaux qu’ils auront sous les yeux.
Incontestablement, nos commissaires d’exposition sont utiles dans la réalisation d’expositions qui présentent des créations sérieuses et de qualité. Au passage, vous avez remarqué que je n’emploie pas les termes de curatrice, curateure et autre curateur qui sont issus d’anglicismes qui sont de faux frères. Nos curateurs (les notres) tiennent la main (cérébrale) à des personnes qui possèdent quelques difficultés de discernements dans leurs appréciations personnelles et sujettes à des abus de faiblesses. Nous savons que d’aucuns, pour des intérêts souhaités, mettraient rapidement nombre de photographes, et leur entourage, sous leur dépendance. Toutefois, même vieillissants, peu de photographes perdent la tête lorsque l’on travaille sur leurs œuvres.
Alors d’où nous arrive cette inflation de commissaires d’exposition ? Comment expliquer que sur les affiches, sous le nom du mécène en gros, apparaissent, en gras, les noms d’un ou deux commissaires (souvent la parité féminin/masculin est respectée). Sur la ligne en dessous, en demi gras, le nom d’une, ou d’un assistant commissaire (au diable l’inflation). Ce bel ensemble de typographie supervise le titre de la manifestation et le nom de l’auteur, dont les œuvres sont exposées. Auteur qui devient la dernière roue du carrosse. Pour Arles 2024, même pour les manifestations du pseudo « Off » était dans cette veine.
C’est ainsi que la compagne ou le compagnon de l’auteure ou de l’auteur se trouve propulsé au rang de commissaire d’exposition. Il en est de même pour les enfants des photographes. Les conservateurs et directeurs de Musées se font baptiser (à la première occasion) de ce titre. N’oublions pas les directrices et directeurs de galeries qui s’arrogent le titre de plein droit (sans les devoirs, cela va de soi !).
Doit-on refuser ce nouveau cycle, bientôt infernal ? Le mécène qui choisit, via son directeur artistique, son commissaire de ses expositions lequel propose un auteur. Il ne restera plus aux photographes désignés par le doigts de Dieu, déjà déshabillés au quotidien, qu’à s’agenouiller pour faire obligeance. « Merci, mes seigneurs, vous êtes trop bons »
Allons, Mesdames et Messieurs, vous êtes les bienvenus dans l’espace épuisant (l’avez-vous déjà mesuré ?) des commissariats pour honorer la photographie. Mais, par pitié, aidez la valorisation ciblée des images pour un sursaut des photographes proches de l’agonie. Surtout, offrez-vous l’humilité, de ne déposer votre signature que très discrètement, dans un petit coin de la manifestation, si l’auteur vous le propose. Vous en sortirez grandi, l’exposition est destinée aux œuvres et non pas à votre promotion personnelle et à celle de vos acolytes.
Thierry Maindrault, 13 septembre 2024
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