Pulse, d’Ata Kam, a été présélectionné pour le prix 2014 du Fotobookfestival de Kassel. Et de fait, l’idée géniale du photographe turc consiste à réviser ses archives en organisant le flot d’images aléatoires générées depuis ses débuts en 2010 selon un éditing quasi-mathétique. « Memory is not unlinear at all », dit-il. Il questionne avec méthode la mémoire et la façon dont les temporalités se mêlent dans notre conscient et notre inconscient en faisant comme seul choix dans ses 15 000 images celui des émotions suscitées aujourd’hui par ces images.
« For me photography is writing a journey of the mind and the body with something called ‘everyday’ – sometimes my steps follow a path, sometimes I find myself wandering into different realms », explique-t-il.
Il a ensuite poussé le concept plus loin dans une installation intitulée Modules, présentée a New York en avril et à Istanbul en octobre. Le principe : assembler les 6 premières images de toutes les pellicules qu’il a exposées depuis 2010, sans censure, les unes à la suite des autres. S’en dégagent de nouvelles histoires, des obsessions, des temps éphémères qui sont justement l’objet de ses recherches photographiques.
« Photography feels like a kind of performance that never finds its resolution and is thus condemned to remain restless, mobile, volatile even », commente-t-il.
Ses images s’en ressentent, qu’il s’agissent de portraits d’amis à Istanbul ou d’étrangers qui le marquent au cours de ses voyages à New York, Tokyo, Amsterdam et autres. Ce sont des cadres serrés sur des détails, sur ces motifs évocateurs qui reviennent et se répondent sans correspondance : les jambes d’une jeune femme, aussi menues que les pinces d’un crabe ; la tignasse effilée d’une autre, aussi ébouriffée que les cables du système électrique d’un immeuble ; un tas de films endommagés déroulés dans les mêmes circonvolutions que le tee-shirt d’un homme à Zanzibar.
Le traitement joue un rôle majeur dans l’exploration de ce puzzle visuel. Les images de Pulse semblent perçues au travers d’un voile mat, ce qui a pour effet de les placer directement dans le champ de l’atemporel. Ata Kam joue du temps d’exposition et de l’ouverture du diaphragme tout en exécutant une chorégraphie spontanée — bras tendu, plié ou contorsionné, corps en suspens, couché au sol, appareil photo à la hanche et autres pas que lui inspire l’événement. Si la prise de vue mêle contrôle et instinct, la production relève d’une connaissance aigüe des matériaux et des techniques d’édition héritée des Japonais : les pages sont faites d’un épais papier Bristol, presque cartonnées, certaines se déplient pour imposer un rythme, et la reliure — japonaise — est faite à la main, avec la délicatesse d’un chirurgien cardiologue. S’en dégagent de nouvelles histoires, des obsessions, des temps éphémères qui sont justement l’objet de ses recherches photographiques puisque, toujours, il s’agit d’appréhender le style documentaire comme un étirement du temps.
www.kam.today
http://2014.fotobookfestival.org/dummy-award-2014/