Née en 1976, la photographe et vidéaste Nicène Kossentini vit et travaille à Tunis. Diplômée de l’Institut supérieur des beaux-arts de Tunis et de l’université Marc-Bloch de Strasbourg, elle a suivi les formations du Studio national des arts contemporains Le Fresnoy, à Tourcoing, et de l’École de l’image des Gobelins, à Paris. Elle a exposé en Tunisie, en Afrique du Sud, au Mali, en Suisse et en Norvège.
La série porte le nom d’un étang salé situé à quelques kilomètres de sa ville natale, Sfax, en Tunisie. Chaque image du point d’eau asséché se double d’un portrait de femme, issu de l’album familial, représentant ses mère, grand-mères et arrière-grands-mères. Elle évoque ici ces « lieux habités », ces jardins secrets que chacun porte en soi. Cette conception métaphorique de l’espace – d’un espace mental fictif ou vécu – invite à plonger dans un monde flottant, entre présence et absence, entre oubli et résurgence.
Cette dynamique introspective, qui se traduit en image par la répétition d’un même motif – l’étang – à des intervalles de temps différents – trois générations –, témoigne également de la fascination de la photographe pour deux célèbres compositeurs de musique répétitive, Terry Riley et Philip Glass. En explorant cette dimension séquentielle, Nicène Kossentini manifeste son obsession à réunir les fragments de son histoire et mettre à jour le flux tendu de ses souvenirs.
Or, ce flux se prolonge visuellement par une phrase sans commencement ni fin, sans ponctuation ni sens, qui court le long des images. Indéchiffrable, incompréhensible, cette écriture évoque les liens perdus avec le passé, les strates enfouies et les vérités cachées ou refoulées. Cette démarche civique et artistique, ce devoir de mémoire qu’elle partage avec de nombreux artistes arabes, est à mettre en relation, selon la sociologue Jocelyne Dakhlia, avec l’hégémonie des États arabes, avec leur déficience patrimoniale et leur démission à l’égard de la politique muséale. Aujourd’hui, à l’aune du Printemps arabe, ces artistes qui, jusqu’à présent, se tournaient vers leur passé, ne vont-ils pas désormais favoriser un présent devenu Histoire.
Mouna Mekouar, commissaire
Texte extrait du livre-catalogue « Photoquai » coédition Musée du Quai Branly- Actes-Sud