Anne-Françoise Pelissier : Beyrouth ou le silence des dieux
Anne-Françoise Pelissier, familière de Beyrouth, a photographié la ville dès le milieu des années 1990, à un moment où le retrait des milices marquait la fin d’une longue guerre civile sur fond confessionnel. Ses images montrent avec force combien l’intensité visuelle n’a rien à voir avec le pathétique. Rien de plus serein en apparence que ce monde après la bataille. La mer est étale, suprêmement indifférente.
Sur la rive déserte, quelques parasols depuis longtemps inutiles coupent l’horizon de leurs verticales dérisoires. Mêmes les navires sont à l’amarre. Le ciel est uniforme, lui aussi. Il n’a jamais paru plus vide. Le lendemain de la violence est le temps de l’indifférence des dieux. La mémoire des combats s’inscrit dans l’un des lieux les plus communs de l’image de guerre : un mur criblé d’impacts, dont l’enduit est tombé. Tout n’a pas été renversé ou détruit : une grande roue, souvenir des jours heureux, se voit de partout, immobile. Mais le riche patrimoine de l’une des plus belles capitales de la Méditerranée a payé un lourd tribut ; un pilastre de marbre renversé devient métonymie de toutes les villas éventrées ou anéanties.
Sur le Beyrouth d’Anne-Françoise Pelissier flotte un extraordinaire silence – un silence de Samedi saint. La solitude la plus totale semble régner. Le béton, l’acier, le végétal aussi : tels sont les acteurs, disposés selon les lois austères de la géométrie. On pense aux grands murs nus de Lewis Baltz, avec moins de systématisme janséniste toutefois. Jusque dans l’absence des hommes, des regards, des voix, Pelissier garde vive une forme de vibration, comme dans ces lieux abandonnés où l’on a le sentiment étrange que quelqu’un vient de passer.
Serait-ce un fantôme, sous une toile légère comme celle qui couvre les palais ? Un ouvrier endormi ? Ce monde rendu à lui-même mais non dénué de promesses est par excellence un monde poétique.
Texte Guillaume de Sardes
22 tirages unique vintage, argentique. Format 30X40 réalisés entre 1997 et 2000
par le laboratoire Publimod de la rue du roi de Sicile à Paris.
Boitiers argentique / Pentax 6X7, Leica M6 et Polaroïd 180
Anne-Françoise Pelissier : Fragment
Familière de Beyrouth, j’ai photographié la ville dès le milieu des années 1990, à un moment où le retrait des milices marquait la fin d’une longue guerre civile sur fond confessionnel. J’ai tracé le portrait d’une ville étrange, Beyrouth une capitale en perpétuel mouvement, en éternelle évolution. Difficile de traduire la fascination, difficile de décrire une cité frénétique et fervente, attirante et effrayante, harassante et dense. Pour donner une identité de cette ville, j’ai rencontré et photographié des hommes, artistes libanais qui, dans le sillage d’un traumatisme collectif, ont pris le maquis et choisi la création pour combattre les maux de la guerre.
Ils sont les représentants d’une nouvelle génération. Ils traversent le présent, fendent la pensée, bâtissent l’avenir. Architecte, artiste, danseur, musicien, photographe, designer, graphiste, couturier … des résistants à leur manière, qui façonnent leur domaine, une Beyrouth allumeuse et éclairée, secrète et impulsive. Je les ai photographié dans un fragment de leur territoire, de leur intimité dans la ville; leurs silhouettes apparaissent comme des « ponctuations » d’un théâtre à ciel ouvert, d’un Liban affranchi et renaissant.
Par le biais de leur art, ils font tourner les rouages d’une machine à bouleverser le système social et politique. J’ai arpenté la ville, effleuré les cicatrices derrière la métamorphose, mesuré toutes les subtilités de la mère capitale.
J’ai compris que le temps n’efface pas l’histoire comme il n’a pas gommé les stigmates de l’année 2006. Beyrouth, ville multiconfessionnelle du monde arabe, sait cultiver le processus démocratique et artistique.
Au travers de mes rencontres, je me suis confondue à une ville où tout est trop beau, trop laid, trop bon, trop violent…
J’ai voulu prendre du recul, me laisser caresser par un air aussi doux que brûlant, entrer dans un décor qui, à chaque coin de rue, surgit et se dérobe, m’imprégner d’une atmosphère qui glisse entre les doigts, tenter de séduire une muse équilibriste et schizophrène, une putain refaite, remaquillée et excessive qu’il faut prendre comme elle se donne, jusqu’à se sentir totalement dépossédée.
Anne-Françoise Pelissier
Tirage sur papier Fine Art 30X40 d’après scan réalisé par le laboratoire
Picto Bastille.
Epreuve en série limitée à 8 exemplaires, signée et numérotée par l’artiste.
Boitier Polaroïd 180. Polaroïd 665 B&W.
Film noir et blanc haute résolution positif / négatif.
GALERIE BASIA EMBIRICOS
14, rue des Jardins Saint-Paul, 75004 Paris