Le travail de Trevor Paglen (né en 1974 aux États-Unis) n’est pas proprement photographique mais l’exposition qu’il présente à Metro Pictures à New York touche de près à la question de la représentation. Inspiré par des problématiques éminemment contemporaines comme la collecte d’informations et la surveillance de masse, son rapport à l’image se veut débarrassé de volonté esthétisante. Trevor Paglen s’intéresse à l’image créée par l’accumulation d’autres images, à l’image de toutes les images : sa recherche est à la fois politique et philosophique. Les travaux présentés à Metro Pictures suivent deux perspectives : les images formées par et celles crées pour des algorithmes (les deux se recoupent, bien entendu).
Le projet Adversarially Evolved Hallucinations, par exemple, est une série d’images fabriquées à partir d’une base de données entrainée pour reconnaitre des images d’après des classifications plus ou moins fantaisistes (comme « monstres », « rêves » ou encore « prédateurs américains » qui contient des portraits de Mark Zuckerberg, le créateur de Facebook !). Un algorithme génère ensuite une sorte d’archétype depuis les différents corpus créés par l’artiste. L’image finale est comme une méta-image, elle contient toutes les autres. Si on devine des formes familières – et les titres aident à ce jeu de piste – elles tendent toutes à une abstraction aux couleurs évanescentes.
Le même protocole est utilisé pour Fanon (Even The Dead Are Not Safe) Eigenface qui est une reproduction du visage du philosophe Frantz Fanon produite par un programme de reconnaissance faciale : le portrait est créé par et pour la machine. Les traits sont reconnaissables et flotte dans des nuances grisâtres et beiges. Quelque chose dans ce portrait, à la fois sublimé et si réductible, est terrifiant : voilà comment la machine nous voit.
Le travail de Trevor Paglen est très conceptuel et les images sont captivantes par leur étrangeté. C’est sans doute le fantasme de l’image acheiropoïète (« non-faite de main d’homme ») et le délire d’un monde objectif, sans l’homme, qui rend l’exposition si fascinante. La démarche est alchimique, il y a quelque chose d’une recherche impossible et le résultat est presque terrifiant. On sort de l’exposition dans un drôle d’état, un peu fébrile. L’esprit est stimulé intellectuellement mais les images resonnent aussi comme autant d’avertissements.
Hugo Fortin
Hugo Fortin est un auteur spécialisé en photographie basé à New York, aux Etats-Unis.
Trevor Paglen, A Study of Invisible Images
Du 8 septembre au 21 octobre 2017.
Metro Pictures
519 West 24th Street
New York, NY 10011
Etats-Unis