Profondément marqué par la légereté et la démesure des espaces australiens, le travail de Trent Parke est baigné dans une poésie légere, la plupart du temps en noir et blanc. Que ce soit dans Dream Life ou dans Minutes to Midnight, épuisé le jour même de sa sortie il y a à peine un mois, le photographe attrape au vol des images que l’on aurait pu rêver mais que la vie a pris soin de créer pour lui. Les êtres, les espaces, les objets qui composent son univers ont tous la capacité de brouiller la frontière entre fiction et réalité. Sans pudeur ni chichis, c’est un conte plus loufoque que le photographe a livré juste avant Noël : The Christmas Bucket Tree, son album de famille, en couleur, emballé dans un papier cadeau rouge et doré en deuxieme et troisieme de couverture.
L’introduction évoque certes une certaine quiétude : « That was the night before Christmas, when all through the house, not a creature was stirring, not even a mouse » (« C’était la nuit avant Noël, lorsque dans toute la maison, aucune créature ne bougeait, pas même une souris » — on retrouve d’ailleurs la souris morte en milieu d’ouvrage). Mais cet album n’en est pas moins un joyeux bordel : les quatre enfants s’empilent les uns sur les autres dans une explosion de rires et de larmes comme les chiots s’entassent sur leur mère pour téter, les cadeaux recouvrent les moquettes dans un mélange de motifs kitsch, le chef improvisé cuisine un copieux barbecue déguisé en hot-dog, le frère s’apprête a plonger dans la piscine dans le maillot de bain vert une piece probablement emprunté à sa femme ou à sa belle-sœur.
C’est la vie de tous les jours de la famille, toutes générations confondues et amis inclus, concentrée en une seule journée. Beaucoup de photos sont prises à l’insu des sujets, aussi improvisées que les fantaisies qu’elles capturent, et le livre suit le rythme de cette journée imaginaire de Noël. Le réveil brumeux, son agitation, ses jeux, ses repas, ses siestes et ses nuits. En milieu d’ouvrage, un ange blond de trois ans est à cheval sur une poupée qu’il embrasse délicatement sur le nez avant de dormir. Après un lourd repas, les parents somnolent dans le canapé et le grand-pere est affalé dans son lit. Les fleurs des draps rappellent celles de la tapisserie. Son large slip noir jonche la moquette à côté des oreillers qu’il a jetés par terre. La fête est terminée. « To all, a good night », conclut Trent Parke dans les remerciements de dernière page. Alors que les corps sont effondrés sur les fauteuils, les couettes, les tapis de jeux et autres lits, il fait le tour des restes : quelques cookies brûlés en forme de dinosaures traînent dans un plat, des dessins inachevés tracent les contours de deux corps sur le sol comme après un homicide, le père Noël est décapité et le sapin a perdu ses épines. C’est un rêve un peu gore, sans artifices, bourré de tendresse. Faites de beaux rêves.
Livre
The Christmas Tree Bucket, de Trent Parke
Editions Steidl
128 pages, 38 euros
ISBN : 9783869302065
http://www.steidl.de/flycms/en/Books/The-Christmas-Tree-Bucket/0001021429.html
http://www.magnumphotos.com/C.aspx?VP3=CMS3&VF=MAGO31_10_VForm&ERID=24KL534BCY