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Tony Maniaty

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A Istanbul : le Kafe d’Ara Güler

“L’histoire du monde est la somme des vies des gens ordinaires, les atomes de ce monde. C’est ce monde magnifique qu’Ara Güler cherchait à préserver. » Mgr Sahak Maşalyan, aux funérailles d’Ara Güler le 20 octobre 2018, à Istanbul…

Le lendemain de mon arrivée, un attentat terroriste a tué six personnes. Istanbul : Est et Ouest, l’Asie rencontre l’Europe, le choc et le mélange des cultures. Et la maison bien-aimée d’Ara Güler, le légendaire photographe turcde Magnum qui a documenté cette ville fabuleuse tout au long de sa vie et qui est décédé il y a quatre ans à 90 ans. (Insuffisance rénale et dialysé, mais il a continué.) Les habitants l’appelaient « L’Oeil d’Istanbul” parce qu’il s’est concentré sur la ville dans laquelle il est né et capturé avec une dévotion absolue. Et quelles photographies ! Même le mot « intemporel » semble trop court, trop bref : c’étaient des images éternelles. Les rues pavées, les travailleurs fumeurs et les enfants des rues, les ferries qui traversent le Bosphore. Le tout capturé dans une magie monochromatique avec un Leica cabossé et une poche pleine de film. Une pure joie.

Et que reste-t-il ? Une œuvre incomparable, sans laquelle Istanbul – telle que nous la connaissons, l’imaginons, la rêvons – n’existerait peut-être pas ; car tant de choses ont changé ici, même entre les visites. Maintenant, ce sont toutes les grandes marques, les marques de mode, le design ; il y a sept ans, mon dernier séjour, ce n’était pas si mondialisé mais en pleine expansion. Quand je suis arrivé en 1984, c’était une ville enfermée dans un passé énigmatique, un étrange mélange d’orientalisme et de modernisme, les idéaux d’Atatürk portés par des espoirs de grandeur.

Et maintenant les explosions de bombes, l’incertitude.

Les temps sont fragiles mais Güler nous a donné la permanence, un ensemble d’images si fortes qu’elles défient le temps qui passe, les terroristes, voire le passage de Güler. (Lui qui détestait être appelé artiste – « je ne fais pas d’art » – préférant « photojournaliste », archiviste enregistrant la vie telle qu’elle existe.)

Aujourd’hui, je monte – ce quartier, Beyoğlu, n’est que des collines – jusqu’à l’Ara Kafe, que Güler a ouvert il y a longtemps et où ses photographies ornent les murs, et sa mémoire persiste. A trois heures de l’après-midi, il est presque vide, ce qui me permet de réfléchir aux images graphiques de Güler, toujours de cette ville. Le tireur qui a capturé des célébrités – Picasso, Churchill, Hitchcock, Dali, pour Life, Time, Paris-Match, Stern – revenait invariablement dans ces rues bondées et boueuses. Je sirote mon café turc, mange du lokum. Chaque image déclenche des souvenirs des autres; sa documentation d’Istanbul est transparente et sans fin. Une passion, une obsession ou les deux ? Güler n’était pas un Proust en quête de temps perdu, de nostalgie. Ici, son travail devient l’image-temps elle-même.

Combien de grands photographes ouvrent un café, un lieu de rencontre ? Peut-être un seul.

Güler et Istanbul, inséparables.

Tony Maniaty

http://www.tonymaniaty.com

 

Kafe Ara, İstiklal Caddesi Tosbağa Sokak 2/A, Beyoğlu, İstanbul

https://www.magnumphotos.com/newsroom/ara-guler-1928-2018/

https://www.araguler.com.tr/

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