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Tiny tears, les Belges à Paris Photo

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Durant la foire internationale de photographie d’art Paris Photo, les photographes belges Aurore Dal Mas, Katlijn Blanchaert et Peter Waterschoot sont présentés à la mi* Galerie, en collaboration avec Urbanautica Institute. Une exposition organisée par la commissaire Dieter Debruyne.

Les œuvres mélancoliques de ces trois photographes racontent des histoires personnelles faites de sombres pensées et de solitude se mélangent parfaitement. Le trio emmène le spectateur dans un univers crépusculaire fait de ‘persona non grata’ fangeuses, de notes introspectives et de caprices du temps. Polvere, Limen et Ikebana Blues perçoivent, explorent et remanient le monde chacun à leur propre façon.

Polvere, d’Aurore Del Mas, tire son nom de cette matière charbonneuse, très sombre, à la surface un peu floue dont sont faites les images. C’est un mélange de personnes et de lieux qui crée une sorte de ‘série noire’; la noirceur appelant à la lenteur. Pas d’explication à propos des situations, pas de narration, des visages cachés, aucun regard à supporter ici, que des corps, souvent nus. Les images ressemblent à des monochromes brûlés, à un souvenir trouble, les sujets implosent, comme des fruits trop mûrs dans un univers désolé s’effondrant sur lui-même, avec l’idée de catastrophe imminente.

Peter WaterSchoot présente la série Ikebana Blues, photographiée entre 2012 et 2017. Par sa méthode photographique spécifique, il dévoile un moment décisif secondaire en investiguant les effets d’un séjour prolongé propre à créer l’image. Le photographe se met volontairement à l’écart du monde et cependant opère en plein milieu de celui-ci. Peter Waterschoot fait un pas de côté par rapport à cette vie moderne qui défile sans fin en quête d’une voie lente et crée 

Un espace sans temps ni lieu en « bidouillant » les commandes du temps. Mais il y a plus dans son travail qu’une méditation décadente délibérée qui consiste à laisser s’évaporer le temps et le poids du corps lors de l’acte photographique. Au fil des ans, sa palette de couleurs a commencé à s’élargir, tout comme sa vision photographique. Son travail se tourne de plus en plus vers l’abstraction ; traduisant le calme des lieux photographiés dans des mises en espace minutieusement choisies, en triptyques ou polyptyques.

Quant à Katlijn Blanchaer et sa série Limen, titre latin, signifiant “seuil”, elle fait référence à la phase intermédiaire d’un rituel où une personne se trouve à mi-chemin d’une identité passée et d’une identité future, errant dans un no man’s land, devant agir mais ne sachant comment. Limen traite du lâcher-prise par rapport au passé, d’une étrange zone de transit et d’un pas vers le futur, vers une nouvelle identité.

L’Œil de la Photographie s’est entretenu avec les différents protagonistes de cette exposition.

 

Comment est venue l’idée d’associer les travaux de ces trois photographes ?

Dieter Debruyne, commissaire de l’exposition :

Puisque a foire a lieu en novembre, il était assez évident de travailler sur le thème de la mélancolie. Paris étant également la ville des Fleurs du mal de Charles Baudelaire.

Y a-t-il selon vous un lien entre la Belgique et ce côté à la fois onirique et sombre de votre travail ?

Aurore Dal Mas : Pour moi cette noirceur est liée à beaucoup de choses, d’abord tout simplement un penchant personnel pour ce qui est sombre; j’aime que cela force le regard et l’attention, la lecture n’est pas immédiate. Mais il y a aussi de plus en plus le contexte actuel qui s’ajoute à cette noirceur. Puis il y a mes origines italiennes qui ont toujours été liées pour moi à quelque chose de profondément noir et il y a finalement sans doute aussi des influences belges, Braeckman et Spilliaert par exemple, que j’apprécie. Je pense qu’on vit en Belgique dans un perpétuel no man’s land qui pousse à une forme d’évasion douce, à cet onirisme.

Peter Waterschoot : Je pense que les belges ont un penchant naturel pour le surréalisme. Je suis pour ma part obsédé par l’idée de construire une forme d’irréalité en ôtant quelque chose à un espace physique et temporel réel. Les images sont des portes, des points d’entrée pour le spectateur, des portes ouvertes vers un rêve éveillé. Tout comme le spectateur lui-même peut rêver les yeux ouverts, les images semblent être elles aussi des songes. Je suis en recherche constante, plus du côté onirique que vers ce qui est obscur.

Katlijn Blanchaert Je n’y ai jamais pensé, je fais simplement le travail dont j’ai envie. Mais je suis certainement influencée par le pays où je vis.

Il semblerait que vous exposez ici tous les trois vos plus sombres pensées.

Aurore Dal Mas : Cela fait un peu plus de 3 ans que j’ai entamé la série Polvere qui est exposée et il est vrai qu’il n’y a pas d’éclaircie ! J’espère néanmoins que cette noirceur n’est pas une fin en soi mais une matière où plonger, un magma d’où ré-envisager le monde. Les extrêmes ne sont pas faites pour le quotidien mais elles permettent de le nourrir

Peter Waterschoot C’est plus que sombre, mais avec une forme de légèreté de cœur mélangée à de la mélancolie. Peut-être sardonique, peut-être stoïque.

Katlijn Blanchaert : Limen est le résultat d’un besoin de faire des photos qui, d’une certaine manière, représentent mon état mental – trouble, ces dernières années. 

En travaillant à cette série, je me suis focalisée sur des situations et des personnes spécifiques, mais à la fin j’ai décidé de lui donner un aspect plus universel car c’est déjà suffisamment personnel. Selon moi, un artiste doit rechercher l’honnêteté lorsqu’il fait un travail personnel mais il a aussi le droit de se protéger d’une exposition trop grande.

Le titre de cette série se réfère à la phase médiane d’un rituel où une personne se situe entre une identité passée et une identité future, errant dans un no man’s land et devant agir sans savoir où aller. Non seulement je trouvais cela intriguant, mais c’est aussi quelque chose à quoi je peux m’identifier personnellement.

Quelle est votre relation à la photographie ? Est-elle pour vous une sorte d’introspection ? Y a-t-il quelque chose de thérapeutique ?

Aurore Dal Mas : La photographie est pour moi un outil ; je n’ai jamais eu de passion pour la photo mais plutôt un vif désir de manipuler, de comprendre ce qu’est une image. Bien sûr parfois cela s’est mélangé à mes questionnements intimes. J’en ai fait un moyen d’entrer en contact avec les gens et d’appréhender le monde dans une forme qui m’est personnelle. Actuellement je considère mes auto-portraits, disséminés ci et là dans mon travail, comme des photos de moi, rien de plus. Il ne s’agit donc pas d’un acte thérapeutique, il n’y a pas de décharge ou de résolution mais bien plutôt l’envie d’aller au bout de ma logique de compréhension des tenants et aboutissants d’une image, d’un contexte, du monde, du rapport aux choses et aux gens. Ce qui m’intéresse c’est de faire une image qui va imprégner l’esprit, je ne m’occupe pas du chemin particulier qu’elle y fera.

Peter Waterschoot : Mon art est une manière d’amener un surplus de profondeur à la vie, quelque chose dont je ne ferais pas l’expérience et que je ne partagerais avec personne si je n’étais pas photographe. Peut-être parce que je ne m’embarquerais pas dans les mêmes situations. Et je ne pousserais pas aussi loin ma tentative d’enregistrer toutes ces choses particulières sous forme d’émotions, d’esthétique, de couleurs. La photographie est pour moi un jardin intérieur à l’état sauvage dans lequel je peux expérimenter et cultiver mes propres plantes exotiques, mais seulement si je peux trouver les bonnes semences. Les images qui sortent de ce jardin intérieur sont cueillies à la main et méticuleusement sélectionnées puis assemblées.

Katlijn Blanchaert : Depuis que j’ai commencé à photographier, le monde est devenu plus intéressant à mes yeux. La photographie est pour moi une autre/meilleure façon de regarder le monde. Je suis toujours à la recherche de la beauté, même dans les endroits et les moments les plus sombres. Je ne pense pas que cela soigne quoi que ce soit, mais c’est une manière de se focaliser durant les moments difficiles.

Qu’espérez-vous susciter chez le spectateur ? 

Aurore Dal Mas : J’attends une certaine implication car pour moi c’est le spectateur qui finit l’image. Elle n’a pas de sens sans lui. Quant à savoir quel sens… Évidemment mon travail est construit, mais ce que chacun y projette ou trouve ne me concerne plus une fois que c’est exposé.

Peter Waterschoot : La réaction du spectateur face aux images est très importante. C’est essentiel pour moi de capter l’attention du public pour un certain temps. Nous vivons à l’ère d’une image de masse et à consommation rapide. C’est déjà quelque chose d’ajouter encore de nouvelles images à ce flux. Mais mon objectif est que mes images se distinguent, d’en faire d’incertaines balises de paix et de calme. Parce que qu’à l’intérieur de ce calme paisible se trouve aussi quelque chose de mal foutu et menaçant. Mais principalement, les images ont besoin d’un regard lent. Si je peux amener le spectateur à cette lenteur du regard, alors j’ai atteint mon objectif.

Katlijn Blanchaert : C’est difficile pour moi d’estimer l’impact de cette série sur le spectateur. Quand je regarde les images, pour moi elles ont l’air douces et reflètent une situation vécue, mais juste un soupçon par rapport à ce qui s’y trame en fait. J’espère simplement que la série confrontera le spectateur à son propre état d’esprit.

Comment les sujets viennent à vous ?  

Aurore Dal Mas : Souvent un accident ou un heureux hasard démarre un projet. Ou un choc, un ras-le-bol, une impossibilité. Le travail démarre avec l’envie d’exprimer quelque chose d’inexprimable. Pour moi, être artiste c’est être explorateur. Et j’ai une grande curiosité.

Peter Waterschoot : Je fais une recherche minutieuse pour trouver les lieux de prises de vues que je veux. J’ai parfois l’impression de voyager dans le temps. Je travaille dans cet espace entre passé et futur. Je vois tellement d’endroits avec un petit goût d’après-guerre qui sont en train de disparaître à jamais, comme sucés par ce qu’est notre monde actuel. J’ai envie d’aller contre le vent et de collecter des icônes et artefacts d’un monde ancien sans être nostalgique, même s’il y a une tendance nostalgique, mais heureusement, j’ai appris à faire un pas vers quelque chose de plus suggestif.

Katlijn Blanchaert : En traversant la vie avec une curiosité sans fin et une agitation débordante. Le fait de regarder sous la surface occupe une place centrale dans mes explorations, qu’il s’agisse des côtés sombres de la nature ou de mes obsessions personnelles. En plongeant dans le subconscient, au-delà des petites affaires quotidiennes et avec une affinité pour les configurations douteuses et les atmosphères étranges, je me retrouve à visiter des lieux où je n’irais sinon jamais, à rencontrer des gens que je n’aurais autrement jamais rencontré. Je pense que mon travail tournera toujours autour de ce « côté obscur » parce que pour moi c’est beaucoup plus intéressant que d’explorer ce qui est considéré comme normal dans notre société.

Quelle est la part émotionnelle ou intellectuelle dans votre travail ?

Peter Waterschoot : C’est 50/50. C’est un travail très émotionnel mais j’essaye de maîtriser mes émotions pour qu’elles deviennent un outil. Je peux y arriver en les transformant en pensées, en réflexions, en les méditant d’une façon critique et esthétique pour les intégrer à mon travail.

Katlijn Blanchaert : Limen est une réflexion sur la manière dont je me sens, physiquement et émotionnellement. Donc c’est un travail assez émotionnel. C’est, au-delà de ça, une exploration de la théorie de Carl G. Jung à propos du côté obscur enfoui en chacun de nous. J’avais déjà entamé ce type de recherche dans ma série Sauvage.

Où se situe l’espoir pour vous ?

Aurore Dal Mas : Dans notre vulnérabilité.

Peter Waterschoot : L’espoir est dans le plaisir de travailler. C’est ce que je veux faire et ça me propulse à travers la vie.

Katlijn Blanchaert : Tant que je prends pour mon appareil photo pour aller à la recherche de la beauté, il y a de l’espoir.

 

 

Propos recueillis par Cilou de Bruyn

Cilou de Bruyn est auteure et consultante en photographie. Elle vit et travaille à Bruxelles, en Belgique.

 

 

Tiny tears
Du 10 au 25 novembre 2017
mi*GALERIE
23 rue Chapon
75003 Paris
France

www.miground.net

www.auroredalmas.com

www.peterwaterschoot.com

www.katlijnblanchaertphoto.be

 

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