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La vision ténébreuse d’Andrés Vargas sur Guatémala Ville

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Avec une situation géographique et climatique privilégiée, la capitale du Guatemala est une cité généralement verdoyante ponctuée des tâches de couleur que produisent ses arbres en fleurs. Et pourtant, la récente exposition Ideas de progreso (réflexions sur le progrès) consacrée au photographe local Andrés Vargas nous dévoile les facettes les plus lugubres de cet endroit. Centrées tour à tour sur la nature, des détails d’architecture ou des scènes semi-urbaines déconcertantes, les images de cet artiste provoquent une impression déstabilisante du projet urbain en pleine expansion et des éléments d’infrastructure qui bourgeonnent en parallèle.

Ce n’est pas qu’Andrés Vargas refuse entièrement de tenir compte de la luxuriance tropicale de la cité. Cependant, il soumet les éléments les plus naturels à sa palette sombre. Notons que si les végétaux représentent un sujet secondaire dans cette série, les êtres humains en sont, eux, totalement absents. Vargas se focalise au contraire sur les marqueurs du soi-disant progrès : les bâtiments imposants évoquent l’essor économique, les toitures de zinc représentent l’architecture née de la précarité, les coteaux rocheux semblent attendre le premier coup de pelleteuse. La plupart des photographies sont statiques, tandis qu’une petite poignée d’entre elles reflète un mouvement potentiel – une main qui verse de l’eau dans du ciment, ou encore une sculpture spontanée faite d’échelles posées les unes au-dessus des autres. Des caméras de sécurité poussent comme des plantes du sommet d’un poteau et espionnent le tout.

Ces caméras sont la clé qui permet de comprendre cette série et notamment son atmosphère mélancolique en demi-teintes. Vargas présente leur ubiquité comme l’un des marqueurs de l’insécurité qui règne sur la ville, ainsi que, paradoxalement, du sentiment de sécurité que leur présence est censée induire. Comme dans tant d’autres cités, leur existence sert cependant à rappeler l’inéluctable surveillance quotidienne et incessante que subissent les citoyens du monde entier.

Prépondérant, le sujet de la sécurité est omniprésent : souvent doublé du processus de gentrification urbaine, le “progrès” a fait son apparition dans la capitale et provoqué la nécessité d’instaurer un vaste réseau de surveillance. Dans les textes qui accompagnent l’exposition, Gabriel Rodriguez Pellecer raconte une réalité quotidienne qui se déroule au Guatemala dans des bunkers : « Le foyer est un bunker, la voiture est un bunker, le bureau est un bunker », dit-il.

Avec ses tonalités moroses, Vargas nous livre une aridité psychologique ainsi que des vues authentiques sur la ville observée par les vitres teintées d’une voiture – autre mesure de sécurité. Ces photographies rappellent le miroir de Claude Lorrain, un petit miroir noir que les artistes paysagers utilisaient autrefois pour traduire plus facilement certaines scènes. Cette métaphore trouve un écho dans les écrans que nous portons à tout moment avec nous et qui nous renvoient une surface noire lorsqu’ils sont en veille. Dans les photographies de Vargas, nous cherchons une source de lumière, comme si nous scrutions un écran noir.

L’une des œuvres de l’exposition, un avion noir aplati, suggère par sa texture que même une surface sinistre et impénétrable finit un jour par se fissurer. De par leur atmosphère ténébreuse, les œuvres rassemblées pour Ideas de progreso appellent les paroles et les sonorités graves de Leonard Cohen et en particulier ce vers : « There is a crack in everything. That’s how the light gets in » (chaque chose porte en elle des fissures – c’est ce qui permet à la lumière d’entrer).

Cette lueur métaphorique brille dans la seule photographie en couleur du parcours, un gros plan d’une orange accrochée à une branche. Traité en saturation douce avec une mise au point rapprochée, ce fruit vivant incarne l’espoir et l’endurance, suggérant que quelque part dans la ville, il y a de la lumière qui permet à la nature de croître. Si l’on considère l’histoire du Guatemala, un petit pays qui a souffert d’une guerre civile atroce des années 1960 à 1996, ce détail n’est pas anodin. Et vues sous cet angle, les tentatives de progression vers l’avant, ou de fabrication du “progrès”, aussi périlleuses soient-elles, ne le sont pas non plus.

Paula Kupfer

Basée à New York et anciennement rédactrice en chef adjointe d’Aperture magazine, Paula Kupfer est aujourd’hui auteure et rédactrice en chef indépendante.

 

Andrés Vargas, Ideas de progreso

L’exposition s’est déroulée le mois dernier à Antítesis, un nouvel espace d’exposition géré par des artistes à Panama. Andrès Vargas vit et travaille au Guatemala.

http://andresxvargas.com/

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