Thibaut Cuisset s’est éteint le 19 janvier à l’âge de 58 ans, en pleine monstration de ses œuvres dans diverses expositions et alors qu’il préparait son Atlas poétique et sensible aux éditions Steidl.
Thibaut nous a fait l’honneur de collaborer avec la galerie Les Filles du Calvaire sans interruption depuis 2001, par des expositions personnelles ou collectives à Paris et à Bruxelles.
En 1995, connaissant mon intention d’ouvrir une galerie d’art contemporain, un ami peintre m’avait parlé de Thibaut et dit son admiration pour les photos d’Italie qu’il venait de faire lors de son passage à la Villa Médicis. J’avais vu ce travail : c’était une urbanité qui n’est pas celle à laquelle on s’attend quand on pense à l’Italie mais elle m’avait frappé par la justesse de la vision la précision des lignes et les couleurs , celles-là même que j’aimais tant dans la peinture et l’architecture italiennes.
J’ai connu l’homme peu à peu et rentrant plus avant dans son univers professionnel et privé j’ai compris son obsession de la justesse. Il l’obtenait pour les images à force de temps, par la combinaison du lieu, de la lumière et de la couleur.
Pas de compromis ou de laisser aller, ni trop peu descriptif ni esthétisant Thibaut à la fois donne à voir le réel du lieu et transmet son émotion face à ce lieu ; Il transmet une vision du monde qu’il avait exercée et entrainée au Maroc et en Egypte avant la mission de la Datar.
On reconnaît une image de Cuisset : son regard, sa lumière, son épure, sa vision cinématographique et son affinité avec la peinture produisent cet inimitable “concentré de lieu” sans anecdote, sans pathos ni humain ni coloriste, la plupart du temps sans personnage ; Cuisset fait des “portraits de paysages” que ce soit dans le dehors absolu ou dans l’identité des villes.
Lors d’un séjour chez moi, dans un causse Cévenol, il a fait une image du portail. Cette image, hors format, hors-série, est un portrait parfait de l’endroit et de son caractère : le portail est si rouillé qu’on le distingue à peine dans le paysage, il ne sert à rien qu’à marquer un improbable signal au milieu de la garrigue ; il ne ferme rien, il est une interrogation et une invitation à la promenade entre tragique et solitude ; Thibaut l’a saisi “de profil” dans une lumière grise “sans qualité”.
Thibaut Cuisset était un homme discret et pudique, curieux, dans une recherche permanente, parfois anxieux à l’extrême. La rigueur qu’il montrait dans son travail photographique lui servait de repère et d’ancrage et lui permettait d’élaborer son appréhension du réel.
Il nous manque.
Stéphane Magnan
Stéphane Magnan est le directeur de la galerie Les Filles du Calvaire, à Paris.
