Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault
Combien de fois en franchissant l’entrée d’une galerie ou en pénétrant dans une salle d’exposition (même parmi les plus prestigieuses) je me suis retenu pour ne pas faire demi tour. Pourtant les œuvres photographiques exposées n’étaient pas à l’origine de mon réflexe répulsif. Habité par le doute et devant des réactions identiques à la mienne, j’ai eu l’occasion d’engager quelques conversations (ce que l’on identifie pompeusement par étude de motivations et par analyse de reflexes comportementaux). Si vous avez eu l’occasion de tendre l’oreille dans ces lieux mal préparés, vous souvenez-vous des commentaires ? «Quel fatras !», «Çà n’a ni queue, ni tête!», «Que sommes nous venus faire ici ?», «Quel dommage pour ces photographies, l’auteur n’a rien compris», «Ce n’est plus une exposition, ce sont les puces», «Pourquoi doit on se mettre à genoux et revenir en arrière pour voir …», je vous en passe et des meilleures.
Je l’affirme haut et fort la scénographie est absolument indispensable à la présentation d’œuvres de créations ou d’œuvres d’Art. Cela est d’autant plus incontournable lorsqu’il s’agit de la Photographie. Combien d’œuvres intéressantes n’ont pas trouvé leur public faute d’une scénographie judicieuse. Mais attention, la scénographie n’est ni l’exposition, ni son objet et cela en aucun cas. Il n’est pas question d’inverser les rôles et d’imposer la forme à la place du fond. Le véritable dialogue se doit d’être exclusivement entre l’image et le lecteur. La scénographie avec son ambiance, son organisation, ses parcours, ses surprises, sa rigueur, sa pertinence se doit d’assurer une cohérence imperceptible à un ensemble, même si ce dernier est très hétérogène. Le travail de scénographie doit se limiter uniquement au service des œuvres exposées.
La scénographie c’est un vrai savoir faire qui requière une multitude de connaissances particulièrement complexes occasionnant des remises en causes permanentes jusqu’à l’ouverture du vernissage. Il faut également savoir qu’une même exposition composée de toujours le même nombre de photographies identiques devra faire l’objet de scénographies très différentes à chacune de ses nouvelles présentations selon l’architecture du lieu d’exposition, selon la localisation géographique de l’exposition, selon les publics attendus à l’exposition, selon la période de l’année de l’exposition, selon les disponibilités matérielles de l’exposition, selon les caractères mercantiles de l’exposition. Vous remarquerez au passage que je n’ai pas parlé de budget. Car la scénographie qui est bien le complément indispensable à la confrontation des œuvres aux lecteurs nécessite pas, peu ou prou de finances. La scénographie repose quasiment et essentiellement autour de la matière grise. J’ai vu des fortunes englouties dans des présentations foireuses et des présentations superbes réalisées avec deux bouts de ficelles.
Vous allez me contester l’importance et la complexité du savoir faire d’un vrai scénographe. C’est comme pour un metteur en scène et toutes les éléments pour la mise en valeur de la manifestation sont importants ; mais, au final c’est quand même lui qui fait prendre ou qui fait tourner la sauce ! Il se doit de rester invisible et pourtant, au service des œuvres exposées, il assure le sentiment résiduel des visiteurs.
Le scénographe va anticiper les temps des dialogues individuels entre l’œuvre et le visiteur et il va réguler les flux. Il va définir les bons dosages lumineux pour chacune des œuvres. Il va ordonner les directions tant de circulations que de lectures. Il va accentuer l’incidence du message avec les dimensions éventuelles des œuvres et leur visibilité distancielle. Il va garantir la sécurité des œuvres exposées sans en retirer l’attrait même partiellement. Il va calculer les positionnements géométriques qui permettent à tout un chacun d’avoir une lisibilité, sans un parasitage pour chacune des photographies. Il va utiliser les bases de décors naturels du site ou procéder à des habillages judicieux. Il va mettre en place des balisages légers et intuitifs complétés par une signalétique informative et non pas exubérante. Il va identifier et respecter le caractère historique et patrimonial de l’environnement dans ses installations. Etc.
La liste est fort longue et pourtant chaque point est essentiel à l’harmonie de l’ensemble qui subira les conséquences du plus faible maillon de la cohérence.
Tous les créateurs photographiques et les auteurs d’images souhaitent présenter leur travail dans une ou plusieurs des nombreuses manifestations valorisant la Photographie. Accepter d’exposer c’est s’assurer de la compétence du scénographe si l’objet de l’exposition est bien une interaction avec un public et non pas d’inscrire une ligne supplémentaire dans un curriculum vitæ. En l’absence de ce pivot pour vos créations, apprenez les rudiments minima. Nombreux sont les commissaires d’expositions encore trop éloignés de la présentation et qui se contentent du supposé prestige des signatures qu’ils imaginent faire découvrir.
Tous les photographes sont conscients de la nécessité d’une bonne mise en page graphique (ce qui est presque aussi compliqué que la scénographie) pour le livre dont ils rêvent. Mais, trop peu d’entre eux n’imaginent l’aspect essentiel d’une bonne installation de leurs œuvres dans un espace.
A l’origine d’une image photographique nous exigeons des qualités techniques adaptées pour les matériels de prise de vues, nous réalisons les multiples travaux complexes de laboratoire (quelques soient les techniques utilisées), nous devons utiliser les éventails disponibles pour les présentations et les interprétations des messages délivrés et des ressentis émotionnels.
N’oublions pas l’importance de ce troisième volet si nous souhaitons que la Photographie reste attachée à l’Art.
12 mars 2021
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