Thierry Bouët présente sa serie Bureaux ainsi :
Bureaux est une série de portraits d’hommes et de femmes dont le travail fait d’eux des personnes influentes. Dans l’imaginaire collectif, le bureau est l’emblème de notre pouvoir professionnel. Exubérante ou humble, isolée ou partagée, cette pièce dans laquelle nous passons plus de temps que dans notre chambre est le reflet de notre identité. En choisissant des inventeurs, des personnages publics, des artistes, des dirigeants, les portraits montrent l’espace de travail avant qu’il ne migre chez soi dans les prochaines années.
Thierry Bouët
Les 13 photos du portfolio sont légendées comme suit :
Pierre Cornette de Saint Cyr
Pierre Cornette de Saint Cyr, Commissaire Priseur. Il ne prend que dix jours de vacances par an dans une maison familiale où il s’ennuie et ne parle à personne pour reprendre des forces. Le reste de l’année, il est à son bureau dix heures par jour, sept jours sur sept. Son étude est sa famille, ses deux fils y travaillent. Passionné d’art, la seule autre profession qui l’aurait attiré aurait été cosmonaute. Il voit son époque comme une nouvelle Renaissance. 90% des découvertes scientifiques de l’humanité ont été faites à partir de 1950. L’avenir du travail sera l’affaire des robots. L’ensemble de la connaissance humaine double tous les sept ans et doublera tous les soixante-dix jours en 2030. Il recommande de jouir de ce moment extraordinaire.
Inès de la Fressange
Inès de la Fressange, consultante et ambassadrice de la marque Roger Vivier. Quand elle n’est pas en voyage ou à la boutique, Inès arrive au bureau vers 9h30 et y travaille jusqu’à 7h00 du soir. Elle y déjeune et reçoit comme chez elle. Le travail est une affaire de conversation. Elle prend énormément de vacances: quinze jours à Noël, quinze jours en février, quinze jours à Pâques et deux mois l’été. Elle a trouvé son bureau chez un antiquaire du XXème siècle. Pour son confort il lui faudrait deux bureaux: une brocante débordante d’objets source d’inspiration et une pièce vide pour la sagesse. Elle a finalement adopté un salon rose.
Sidonie Dumas
Elle passe dix heures par jour à son bureau et emporte les scénarios à lire le week-end. Grâce à ses enfants, elle prend six semaines de vacances par an. Elle pourrait en prendre plus, les trouvant vertueuses dans le nettoyage de l’esprit et l’émergence de nouvelles idées. Extérieurement elle travaille dans le rêve mais les engagements humains et financiers sont lourds. Chaque film est un prototype aventureux qui n’aboutit pas toujours. Elle ne décide pas de son salaire et apprécie de bien gagner sa vie en réponse à son investissement. La réussite est une question de moment. On réussit un plat ou un film. A l’échelle de la vie, le bilan ne se fait qu’à la fin. Ses projets recouvrent son bureau sous forme de liasses de papier. A la retraite, elle se consacrera à d’autres sujets et d’autres territoires. Elle a choisi sa table de travail pour la fraîcheur du verre et sa transparence. Elle incarne son arrivée à ses nouvelles fonctions.
Augustin de Romanet
Augustin de Romanet est président directeur général du groupe ADP. Chez 99% des français il y a un goût pour les trains électriques et les maquettes d’avion. Lui c’est l’entreprise publique. Il s’efforce de créer de la richesse au service de la prospérité et donc des emplois. La réussite est une œuvre d’art. Elle est une combinaison d’actes originaux instruits par le travail qui délivrent un message qui traverse le temps. Cette originalité résulte d’une longue réflexion, d’un travail et d’une modestie. Selon ses projections, l’aéroport de demain ressemblera à un hôtel dans lequel personne ne dormira.
Jacques Antoine Granjon
Fondateur et président directeur général du site vente-privée.com. Au grand regret de sa femme, il travaille 24 heures sur 24. L’Iphone a révolutionné la consommation. Il a sauté dessus et ne s’en sépare que lorsqu’il est en plongée sous-marine. Paresseux contrarié, son esprit est inadapté à l’oisiveté. Il commence à travailler à 22 ans. La retraite est pour lui une absurdité où l’on est payé à ne rien faire. Il a du pouvoir en interne mais pour le bon fonctionnement de l’entreprise, le pouvoir est délégué. Il se donne 20 ans pour bâtir la plus belle société européenne de e-commerce. Son bureau a été dessiné par Jean Prouvé. Il vient des ateliers Marcel Dassault où le Mirage a été inventé. À la tête d’une fortune personnelle évaluée par Challenges à 750 millions d’euros, il a raté son bac S avec une note de 1 en maths.
Farida Khelfa
Sans texte
Jacques Séguela
Avant d’aller au bureau, il passe une heure à écrire chez lui. Il en est à son 28ème livre. Il est le père du groupe Havas dont il a engagé tous les dirigeants. Son bureau est derrière des vitres et par voie de conséquence toujours ouvert. Il passe 48 semaines à penser aux quatre semaines qu’il passe l’été à Ibiza. Son travail est sa maîtresse. Il a fixé sa retraite à cent ans et veut être le Molière de la publicité. Il n’a de complexe ni de supériorité, ni d’infériorité. Il n’a d’attirance ni de rejet pour l’argent. Il n’a pas de pouvoir direct sauf celui des mots. D’ailleurs Vincent Bolloré le traite de légende. Il n’a la nostalgie que du futur. Cela fait quarante ans qu’il s’assied dans le même fauteuil dessiné par Charles Eames. Sa table de travail a vingt ans et est signée Armani. La vieillesse commence lorsque les regrets l’emportent sur les rêves.
Michel-Edouard Leclerc
Le président-directeur-général de E.Leclerc est installé au sixième étage de son siège social à Ivry-sur-Seine depuis sept ans. L’immeuble a été construit par l’architecte Wilmotte. Jugeant le projet d’aménagement de son bureau trop cher, il a fait appel à son ami designer Olivier Saguez. Ne se considérant pas comme une personne statutaire, il a demandé un bureau où il puisse changer de place et recevoir. Grâce à la rapidité de ses décisions, il s’accorde plus de deux mois de vacances par an et part tous les quinze jours en Bretagne.
Jean Paul Agon
Il travaille 60 heures par semaine, 47 semaines par an. Depuis l’âge de 25 ans, il occupe tous les postes du groupe, chaque fois s’y sentant à la bonne place. Il est très heureux dans son travail et croit en la beauté pour son impact positif et utile. Il aime le marketing et prend un immense plaisir à conquérir les marchés mondiaux. Dans une entreprise où l’on cultive la méritocratie, il n’a jamais marchandé son salaire. Son pouvoir s’exerce sur l’énergie de 72000 personnes et l’orientation du groupe. Pour arriver dans son fauteuil, il a gagné toutes les batailles, appuyé par un solide facteur chance. Il prendra sa retraite à 65 ans pour se consacrer aux voyages et au bateau. N’ayant pas l’habitude de faire les choses à moitié, il changera de vie sans le moindre regret.
Elisabeth Badinter
Sans texte
Gilbert Edelstein
Gilbert Edelstein, soixante et onze ans, président et propriétaire du cirque Pinder Jean Richard. Son bureau est caché derrière la façade impersonnelle d’un pavillon de Sucy-en-Brie. Quand il a repris l’affaire, il travaillait entre treize et quatorze heures par jour. Depuis que sa maison est en face, il ne travaille plus que quatre heures par jour. Il ne prend jamais de vacances pour être toujours en vacances. Il a fait faire son bureau par un ébéniste du Lido il y a vingt ans. Il l’a commandé à son image, en bois massif. Très attaché à ses bêtes, elles sont toutes d’anciennes artistes maison.
Ahmad Jaafar
De nationalité koweitienne, Ahmad Jaafar naît à Beyrouth en 1974. Il travaille dans les affaires de 8:00 à 17:00 sauf le vendredi et le samedi. Il prend cinq semaines de vacances par an à Beyrouth et sur la côte d’Azur. Sa famille possède neuf maisons dans neuf pays. Il collectionne les montres, les stylos, les briquets et les automobiles réparties suivant le schéma suivant: une Range Rover pour le quotidien, une Rolls pour la représentation et une Aston Martin pour le week-end. Il a dessiné lui-même son bureau en s’inspirant du style français. Ses rêves ne se réalisent que lorsqu’il dort.
Christian Louboutin
Depuis plus de vingt ans, Christian Louboutin et sa marque éponyme ont investi la rue Jean-Jacques Rousseau dans le 1er arrondissement de Paris. Par superstition, il ne déménagerait pour rien au monde de cet ancien abattoir de boucher même si l’historique des lieux n’est pas de son goût. Son bureau, dessiné par Jacques Adnet est à son image : il ne répond à aucun plan. Arrivé à la tête de sa propre entreprise entouré de deux de ses meilleurs amis, Christian Louboutin est l’exception qui confirme la règle voulant qu’on ne mélange pas le travail et l’amitié. Conscient de jouir d’une indépendance et d’une liberté rares pour le métier, il observe un emploi du temps chargé sans jamais se soucier du temps qui passe.
Thierry Bouët
