Présentée à Turin par le centre Camera – Centro Italiano per la Fotografia, l’exposition The many lives of Erik Kessels est la première rétrospective dédiée à l’œuvre d’Erik Kessels, artiste visuel, directeur artistique et éditeur néerlandais. Au fil de ses vingt ans de carrière, il s’est imposé comme la référence et le maître incontesté de la « photographie trouvée ».
Au lieu de prendre de nouvelles images, il rassemble pour la plupart de ses projets des photographies existantes, qui lui servent de fragments pour former sa propre mosaïque. Photographe sans appareil ni objectif, il exploite l’image photographique comme un élément déjà prêt à l’emploi qu’il teste et recontextualise. Il aboutit à une sorte d’écosystème pictural, au travers duquel rien n’est ajouté à la vaste quantité de photos qui saturent notre monde et dont le nombre croît à une vitesse exponentielle, jour après jour. Selon la démarche de Kessels, l’existant est au contraire récupéré et recyclé.
Occupant tout l’espace de Camera, le parcours retrace la carrière photographique de l’auteur, au travers d’un itinéraire détaillé qui comporte des myriades d’images, avec vingt-sept séries ainsi qu’un grand nombre de livres et de magazines, dont beaucoup sont publiés par KesselsKramer Publishing, la maison d’édition désormais célèbre fondée par Kessels lui-même.
Parmi les œuvres exposées, citons par exemple 24hrs of photos qui envahit littéralement l’espace avec une montagne composée de centaines de milliers de tirages, ceux de toutes les images chargées sur la toile en un seul jour. Ou encore une installation majestueuse intitulée My feet, composée exclusivement d’images des pieds de ceux qui se trouvent derrière l’objectif, une introduction directe des concepts de la répétition et de l’archivage.
On retiendra également Valery, une femme qui, toute sa vie, s’est fait prendre en photo sous l’eau, Oolong, le lapin équilibriste, et un chien au pelage trop noir pour bien ressortir, qui font partie des nombreux protagonistes de In almost every picture, un cycle comptant à ce jour quatorze projets, chacun organisé autour d’un sujet obsessionnel et répétitif ; avec une bande originale signée par le compositeur japonais Ryuichi Sakamoto, la vidéo My sister, entièrement consacrée à un match de tennis de table entre l’artiste et sa sœur, victime d’un tragique accident de la route à l’âge de neuf ans ; ou encore une pièce entière pour Album beauty, une série dédiée au phénomène des albums de famille, thème privilégié de Kessels, qui s’attache à réévaluer le travail des photographes amateurs et à orienter sur eux les projecteurs de la recherche artistique.
Nous assistons là à un acte d’accumulation majeur, notamment en termes de méthodes d’exposition et de supports : images encadrées ou non, accrochées au mur ou étalées par terre, tables lumineuses, cubes, papiers peints, cadres, projections, tout concourt à nous livrer à la fois une synthèse et une déconstruction du principe de l’exposition photographique. La notion d’abondance se reflète également dans la recherche omnivore de Kessels, qui n’exclut aucun genre, artiste, époque ou géographie. Même les images rejetées sont retenues. Au lieu de représenter une engeance à éviter à tout prix, leurs défauts prennent de la beauté et du sens. Ce sont ces erreurs qui font l’identité d’un photographe. Kessels fouille les détritus des photographes pour les soumettre à nouveau au regard collectif, en adoptant un point de vue totalement renouvelé. C’est également de là qu’émerge l’ironie souvent féroce et désacralisante de son travail. Le rire détient un pouvoir de libération et de purification. Il permet à l’artiste de creuser au plus profond, d’anéantir toute forme d’hypocrisie et d’exprimer son profond attachement pour les sujets involontaires de son panthéon photographique ainsi que pour la photographie elle-même.
The many lives of Erik Kessels
Camera – Centro Italiano per la Fotografia
Du 1er juin au 30 juillet 2017
Via della Rosine 18
10123 Turin
Italie
