La ligne de front : cette expression qui n’a plus de sens aujourd’hui dans les conflits essentiellement urbains ou soldats, journalistes et civils sont indifféremment les cibles des bombes et où la limite à ne pas franchir, qu’elle soit physique ou morale, est incertaine. Il y a deux ans, Tim Hetherington et Chris Hondros mourraient en Lybie des suites de leurs blessures dans une explosion aléatoire dévastant les rues de Misrata.
Le documentaire de Sebastian Junger sur Tim Hetherington rend hommage à son ami autant qu’il soulève des questions essentielles pour la profession et le public sur le rôle des journalistes, l’engagement des spectateurs, la perception de l’image, le culte du reporter en héros et l’attrait irrésistible du danger. Et ce, sans jamais tomber dans la caricature ou l’éloge partial. Sebastian Junger, tout comme les collègues qu’il interviewe, est sincère dans l’aveu de ses faiblesses, il a une connaissance aiguë du terrain et il utilise un contenu extrêmement varié rendant compte d’une autre réalité, une réalité qui n’est pour une fois pas dénaturée par le filtre des médias. Si le réalisateur s’appuie sur la vie de Tim Hetherington, c’est parce qu’il était devenu en dix ans une figure importante du photojournalisme, respecté pour ses qualités humaines autant que pour son approche esthétique qui a contribué à redéfinir la photographie de conflit : que ce soit au Libéria ou en Afghanistan, avec son reportage sur les enfants aveugles ou ses images des soldats endormis, il n’a pas donné aà l’audience occidentale ce qu’elle attendait. Le documentaire révèle ainsi à quel point personnalité et production sont liées, mêlant des vidéos de Tim Hetherington en action et ses photographies. Ce va-et-vient entre action et résultat, entre image animée et fixe, donne non seulement un rythme maitrisé au documentaire mais surtout une autre mesure du danger, des risques encourus et de l’état associé. La perte de contrôle, ce sentiment accoutumant que chacun tente d’assouvir et de fuir. A travers un individu dont l’engagement était si entier qu’il lui a valu une reconnaissance publique comme de ses pairs, le documentaire aborde donc avec honnêteté la question de cette excitation pour le risque, et, au-delà, de son impact sur l’image. Passant des photographies aux témoignages, des vidéos brutes aux matériaux non-édités, le documentaire rend compte de la réalité du terrain davantage que les images que l’on est habitué à procéder instantanément et inconsciemment, que ce soit en sous-estimant ou en surévaluant leur contenu. Sebastian Junger rappelle les fondamentaux de l’image, une image qui doit engager le spectateur. L’engager à imaginer, à ressentir, à comprendre et non le choquer et l’autoriser à oublier si rapidement une image noyée parmi tant d’autres dans une esthétique de la violence explicite. « La vie et le temps de Tim Hetherington », comme s’il s’agissait d’une nouvelle ere visuelle et informative qu’il a inaugurée et nous incite à suivre.
Laurence Cornet
Which Way Is The Front Line From Here? The Life and Time of Tim Hetherington
Un film de Sebastian Junger
Production : HBO