Tout au long de l’histoire de l’art, le femmes ont été reléguées – dans la plupart des cas – au rang de muses inspirantes : indiscutablement aimées, admirées et vénérées, mais presque toujours avec un rôle passif. Au milieu des années 1970, la critique de film Laura Mulvey a développé sa théorie du « regard de l’homme », évoquant un système dans lequel les films sont toujours vus à partir d’un point de vue masculin, auquel s’identifie le spectateur et d’où naît le plaisir. Il apparaît clairement que « le regard de l’homme » n’est pas une prérogative unique de l’industrie du cinéma, mais qu’il s’applique également aux autres arts. Les femmes sont toujours décrites comme des objets du désir voyeuriste des hommes auquel les spectatrices doivent se conformer inévitablement, en adoptant elles-mêmes ce point de vue réifiant.
L’industrie de la mode a toujours été indissolublement liée à la création du désir : ce désir prend vie dans le rêve, l’aspiration, la beauté et le médium qu’est la photographie, milieu dominé depuis des années par un point de vue principalement masculin, et qui réitère le paradoxe par lequel les femmes – sujets et destinataires principales de la photographie de mode – s’avèrent chosifiées dans un rôle passif, au sein de l’imagerie qui en résulte.
L’acte féminin qui consiste à solliciter l’objectif tout en redéfinissant le regard de la femme sur une autre femme est on ne peut plus subversif, et chargé d’implications socio-politiques. Il est l’une des seules véritables révolutions de ces dix dernières années dans le monde de la photo de mode. Le « regard de la femme » est une réaffirmation de l’identité féminine, de l’idée d’un autre genre de beauté – moins artificiel –, d’une féminité plus complexe et multiple, et du droit à la représentation d’un corps par lui-même : en d’autres termes, une redéfinition radicale du concept même de désir.
L’exposition The Female Gaze, co-dirigée par Alessia Glaviano et Chiara Bardelli Nonino, se révèle être une investigation chronologique et thématique de l’importance de cet acte de réappropriation, qui va des autoportraits iconiques de Cindy Sherman ou de ceux plein d’esprit de Juno Calypso ou Arvida Byström, jusqu’à la féminité éthérée et féérique de Camilla Akran, en passant par la sensualité tangible des femmes d’Amanda Charchian, de l’érotisme malicieux d’Ellen Von Unwerth aux mystérieux plans de Donna Trope, la mise en contexte de l’apparence de féminité à travers le point de vue occidental globalisant des photos de Zanele Muholi, Lalla Assia Essaydi et Namsa Leuba. Le regard de la femme ne craint pas les défauts, ne s‘arrête pas aux imperfections, aux sujets tabous, ni aux clichés : il décrit l’univers féminin dans sa complexité infinie.
La scène photographique internationale n’a jamais été aussi diverse et plurielle, notamment grâce à Internet et aux réseaux sociaux, qui font tomber les barrières entre les artistes et leurs spectateurs potentiels. La démocratisation de l’accès du regard a toutefois eu un double effet : d’un côté, elle a fait disparaître la médiation du critique qualifié, qui jouait le rôle d’arbitre du goût, tandis que de l’autre, elle a assisté à la montée d’un nouveau type de censure, élaboré par la politique de certains réseaux sociaux en matière de nudité, qui a déclenché de nombreuses controverses destinées à éradiquer certaines images artistiques ou journalistiques jugées pornographiques, et qui ont mené certains artistes à produire des œuvres explorant la sexualité et d’autres thèmes similaires.
L’oeuvre de tels photographes, montrant le corps de la femme pour ce qu’il est – sensuel, vulnérable, idéalisé ou avec ses imperfections – intègre un discours plus général, destiné à enrichir notre regard sur le monde en le libérant des stéréotypes, et en y ajoutant un nouveau point de vue, ignoré pendant des siècles, censuré, déprécié et oublié : celui des femmes.
The Female Gaze (Le regard de la femme)
Au Photo Vogue Italia Festival
Du 22 au 26 novembre 2016
Milan
Via Bergognone, 34
20144 Milan
Italie