Pourtant considéré comme « le salon d’art et d’antiquités le plus éminent au monde », l’on est loin d’imaginer que TEFAF Maastrich soit un lieu où acheter des photographies d’art. Il n’y a pas d’espace dédié au médium et les quelques galeries spécialisées sont dispersées entre les sections « modern » et « paper » (plus récente) sans logique apparente.
Ce qui attire les collectionneurs au TEFAF chaque année sont les œuvres majeures exposées par 260 des plus grands marchands d’art venus de 16 pays. Grâce à un système de vérification et d’inspection (le vetting), la foire garantit la qualité, l’authenticité et la condition de chaque objet exposé pendant les dix jours de l’évènement. Proposant des œuvres issues d’un medium de multiples, les marchands de photographies sont confrontés aux questions novices, et font face au défi de rendre leur sélection désirable auprès d’une clientèle habituée aux toiles de maîtres, à la sculpture ou aux bijoux de luxe.
Johannes Faber (Vienne, Autriche) concède que les nouveaux clients du TEFAF prennent leur temps pour finaliser leurs achats étant aux prises avec le concept du tirage vintage ou postérieur. Dans cette perspective, la provenance devient un élément déterminant de la valeur marchande d’une photographie. Une série d’études de nu d’Anita Brenner (1925) par Edward Weston présentée sur le stand de Faber était un cadeau du photographe au model. Ceci assure à cette suite un pédigrée parfait. Parmi les autres tirages exposés, on remarque des œuvres originales par Heinrich Kuhn, Josef Sudek, et un exemplaire singulier de la célèbre étude de mouvement par Rudolf Koppitz. Faber admet avec ironie que ce tirage, disponible pour la somme de 155,000 euros, semble peu cher pour une clientèle habituée à des prix à sept chiffres.
Hamilton’s(Londres, UK) se distingue cette année avec un choix serré de tirages iconiques de trois maîtres modernes : Irving Penn, Richard Avedon et Helmut Newton. Parcourant le stand, une boite noire dans laquelle seule les photographies sont éclairées, on découvre des beaux modèles de tirages platines par Penn et des tirages argentiques gigantesques par Avedon et Newton. Parmi les œuvres de Penn, deux variations de ses fameux enfants de Cuzco (un grand tirage platine, un plus petit en argentique) démontrent comment de subtiles différences dans la pose (les mains jointes, les expressions des visages ou la position des pieds) et le choix du processus de tirage peuvent transformer une séance en deux œuvres d’art distinctes. La plupart des images exposées sont issues de séries épuisées. La rareté devient un autre élément qui détermine si un tirage photographique est assimilé au fine art. De très grands tirages de Dovima avec les éléphants ou Stephanie Seymour (indisponible dans la plus petite édition de 25) sont les ultimes exemples de la dextérité d’Avedon et devraient s’arracher sur un marché où la taille est considérée comme source de valeur.
Deux tirages des Big Nude de Newton trônent également dans cet espace intime où la seule note de couleur est apportée par un grand bouquet d’orchidées pourpres. Fidèle à sa réputation, il n’y a qu’un mot pour décrire le stand de Tim Jeffries : « sexy ». Chaque tirage aux murs est désirable.
Pour Jörg Maaß Kunsthandel (Berlin, Allemagne) l’idée du sexy est le mariage entre un tirage d’Avedon de Nastassia Kinski et le Serpent avec des gravures d’Erich Heckel ou Karl Schmidt Rottluff et un dessin au fusain d’une femme endormie par Louis Legrand. Sur une autre cimaise, un nu de Brassaï est suspendu au dessus d’un dessin à l’encre par George Grosz. Des tirages par Bill Brandt, Lotte Jacobi et un « film still » de Cindy Sherman parsèment le stand composé exclusivement d’œuvres sur papier. Ces associations sont esthétiquement convaincantes et, on espère, convertiront les visiteurs du TEFAF à la photographie.
En incorporant la sculpture, Kicken Berlin (Allemagne) élève l’art de la juxtaposition entre la photographie et d’autres médias à un autre niveau. Cela démontre aux collectionneurs potentiels que les œuvres d’art de natures différentes peuvent coexister dans un même espace, harmonieusement, et de manière cohérente. Un tirage par Neil Selkirk de Headless Man, NYC (1962) par Diane Arbus prend une nouvelle dimension lorsqu’il est accroché à côté d’un masque en métal, gomme et cuir par Mathieu Mercier : Sans Titre (2003). On peut imaginer le crâne dans la photographie par Dieter Appelt porter le casque de bronze Grec du 6ème-4ème siècle avant Jésus-Christ. Et une sculpture par Hans Arp, placée sous un tirage de Brancusi, prend autant de sens historique que visuel. Kicken est aussi expert dans son choix de nus classiques que dans sa sélection de tirages éclectiques par Erwin Blumenfeld, Man Ray, Jaromir Funke ou Andy Warhol, qui plairont au spéculateur dissimulé derrière le collectionneur. Des tirages soignés au report d’huile (bromoil) ou à la gomme bichromatée par les pictorialistes Heinrich Kuhn et Hans Watzek apportent la garantie que les amateurs de peintures et de gravures seront séduits par le stand de Kicken.
Errant à travers la section « modern », on tombe sur des tirages contemporains, véritables fresques murales, par Candida Hoffer (Kukje Gallery, Seoul, Corée et Ben Brown Fine Arts, Londres, Angleterre) ou Vik Muniz (aussi chez Ben Brown). Des œuvres des années 1960 et 1970 par Peter Hutchinson, Hamish Fulton ou Billy Apple, qui incorporent la photographie, sont exposées sur le stand de la Mayor Gallery (Londres, Angleterre). Des exemples du travail de Gilbert & George sont visibles chez Galerie Odermatt-Vedovi (Bruxelles, Belgique) et Sperone Westwater (New York, USA).
Daniel Blau (Munich, Allemagne) présente un petit groupe de photographies parmi d’autres œuvres. Bien que classiques dans leur style, ces études d’architecture par James Anderson, Edouard Baldus, Bisson Frères, Charles Clifford et Charles Marville enchanteront les clients qui cherchent des clichés décoratifs avec du cachet. Ces albumines sont de véritables antiquités. La vue de l’Alhambra par Clifford entre dans la catégorie des objets d’exception que l’on recherche au TEFAF.
Avec sa sélection minutieuse de tirages et de négatifs exquis, Hans P. Kraus, Jr. (New York, USA) représente ce qu’il y a de mieux dans l’art et la science de la photographie du 19ème siècle. Chaque tirage, riche en tonalité, un exemple immaculé de l’œuvre de chaque photographe, est valorisé par un éclairage attentif. Chaque objet encadré rayonne comme un joyau. Un autoportrait introspectif par Edgar Degas donne le ton, suivi par un bel ensemble de portraits victoriens par Julia Margaret Cameron. Le reste du stand est dévoué à des vues d’Italie. Parmi celles-ci on note un magnifique tirage albuminé : Vue de Rome de l’académie française par Robert Macpherson, avec une fontaine remplie de reflets sombres en avant-plan, et un grand tirage à la gomme bichromatée de Venise par Heinrich Kuhn, vu dans l’exposition itinérante du photographe autrichien. Seul deux exemplaires de ce tirage sont connus. Célébrant sa quatrième année à Maastricht, Kraus a le don de proposer des tirages de très bonne facture dont les tons sont de la plus grande richesse. Ces spécimens de photographie d’art répondent à nos attentes en terme de beauté et, en tant qu’objets rares (jusqu’à preuve du contraire), sont à pied d’égalité avec d’autres œuvres uniques présentées au salon.
Christophe Lunn
Informations utiles :
The European Fine Art Fair, Maastricht (TEFAF)
MECC (Maastricht Exhibition and Congress Center)
Forum 100, Maastricht, Pays-Bas
Dates / Horaires :
du vendredi 16 mars au dimanche 25 mars 2012 (25ème édition)
Tous les jours de 11h00 à 19h00
Dimanche, 25 mars de 11h00 à 18h00
Tarifs :
€ 55,00 pour un adulte, un catalogue inclus
€ 90,00 pour deux adultes, un catalogue inclus
€ 110,00 pour la saison, un catalogue inclus
€ 20,00 pour un enfant (de 12 à 18 ans), catalogue non inclus
Enfant de moins de 12 ans accompagné d’un adulte, entrée gratuite