De par sa nature même, la photographie souligne l’image statique. Curieusement toutefois, elle a toujours joué un rôle dans l’enregistrement des mouvements et des sons liés aux arts du spectacle. À titre d’exemple, les premiers travaux réalisés par Eadweard Muybridge dans les années 1880 correspondent à des études sur la décomposition du mouvement, les images successives de sujets, animaux ou humains, figés dans l’instant. Plus tard, alors que le modernisme explose dans le Paris des années 1920, Man Ray exploite la photographie et plus précisément la solarisation pour capturer les danseurs, la scène et les décors du court-métrage Ballet Mécanique. À la même époque, des photographes constructivistes russes et hongrois tels qu’Alexander Rodchenko et László Moholy-Nagy se servent de leurs appareils pour réaliser des expériences liées au socialisme et à la société moderne. Leurs travaux ont notamment participé à la transformation d’une société agraire en mastodonte industriel.
Servant les intérêts culturels – et souvent politiques – de la société, la danse, la musique et les arts ont porté la voix de la créativité et du progrès au xxe siècle. Cette exposition rend compte de l’exploration que mène la photographie contemporaine au sein de la danse et de la musique. Les photographes représentés excellent dans l’art de nous offrir des images qui consignent et suggèrent les sons, les mouvements, les costumes et les performances des artistes qui peuplent ces disciplines.
Les œuvres de Barbara Morgan forment un excellent point de départ pour toute exposition qui célèbre la photographie et la danse. C’est l’une des photographes les plus influentes de tous les temps, et ses travaux sur la danse sont exposés au Metropolitan Museum of Art, au Museum of Modern Art ou encore à la George Eastman House. Pour elle, la forme est la mémoire du contenu spirituel. Elle affirme en outre que la forme et le contenu se rencontrent dans l’action. C’est cette action qu’elle a photographiée dans son studio, en capturant par exemple les danseurs Martha Graham et Merce Cunningham, pour obtenir des images visuellement fascinantes et historiquement irréfutables. L’observateur est ensorcelé par l’évocation intime de l’émotion et du mouvement de chaque sujet, la photographe utilisant parfois une technique d’image double pour clarifier l’évolution du mouvement.
Plus contemporains, Ken Browar et Deborah Ory conservent cependant le sens esthétique emblématique des premiers temps de la photographie de danse. Unis par leur passion commune pour la photographie et la danse, ils se sont lancés dans le NYC Dance Project, une série de photographies vouées à exalter l’art de la danse et des danseurs, dont le corps est devenu langage. Le projet rassemble des portraits de talents issus des compagnies de l’American Ballet Theatre, de l’Alvin Ailey American Dance Theater, du New York City Ballet, de la Martha Graham Dance Company et du Royal Ballet. Avec une synthèse parfaite du mouvement et de l’immobilité, le duo Ken Browar-Deborah Ory saisit l’instant où les danseurs s’envolent, ou au contraire, se campent fermement sur leurs pointes. Faite d’agilité et de beauté, cette alliance entre les photographes et leurs sujets donne naissance à des images qui incarnent l’équilibre absolu, sans donner prise au temps qui s’écoule.
Dans le domaine du son, des photographes tels que William Gottliebt Herman Leonard ont établi des liens solides avec des musiciens majeurs qui transcendent les générations. Grâce à la photographie et la disponibilité des artistes, soit sur scène ou en studio, des moments culturels critiques des univers du jazz et du rock and roll, du rhythm and blues et de la pop, sont passés dans la mémoire collective : pochette de disque, poster ou première de couverture du magazine Rolling Stone, ces images ont contribué, avec l’aide des médias de masse, à magnifier le genre musical et le glamour qu’on lui associe désormais.
Au travers d’un vaste corpus d’œuvres d’une portée et d’une diversité inégalées, Harry Benson a illustré certains des plus grands noms de la musique. Parmi ces géants, Michael Jackson, Janis Joplin, Mick Jagger, The Who, Frank Sinatra, Amy Winehouse et surtout, les Beatles, se sont retrouvés dans son viseur. Avec un impact affectif indéniable, ses photographies ont acquis leur place dans l’histoire, en partie parce qu’elles détiennent un étrange pouvoir, celui d’arrêter le temps.
Non posés, ses portraits sont le reflet intrinsèque de l’intimité recréée entre le photographe et son sujet. Ses images restent vivantes et demeurent irremplaçables, dans un monde où règne pourtant l’éphémère. Elles révèlent sa farouche détermination à capturer les évènements qui, de par le monde, ont façonné notre passé collectif.
Depuis qu’il a quitté les États-Unis pour l’Afrique du Sud en 1969, Norman Seeff suit des artistes, des musiciens, des acteurs et autres personnages iconiques. Subjugué par le cheminement créatif de personnages exceptionnels, il use de son propre talent pour en rendre compte. Il se qualifie lui-même d’explorateur et derrière son objectif, il est capable de toutes les audaces. Ancien directeur créatif de United Artist Records, il ne se contente pas de créer des photographies mais entre en relation avec quiconque passe le seuil de son studio et pénètre dans son champ – qu’il s’agisse de Ray Charles, Patti Smith et Robert Mapplethorpe, Tina Turner ou Cher… la liste est interminable. Posté derrière son appareil, il mène avec ses sujets des entretiens, des sessions au cours desquelles il leur demande parfois de chanter ou de jouer, exposant alors des variations émotionnelles qui font que sur ses planches contact, aucun cliché n’est identique à un autre. Pour lui, le résultat final est plus qu’une photographie : c’est l’expérience de la manière dont le processus créatif évolue.
Cette exposition scrute les représentations photographiques de la musique et de la danse. Elle tisse une histoire illustre, en utilisant une forme artistique pour en documenter une autre. Les images sont hors du temps et ne se limitent pas à l’interprétation de l’histoire. Elles créent un contexte au sein duquel d’innombrables histoires se déroulent. Ces photographies incomparables forment le levain qui fait revivre les événements culturels de la danse et de la musique. Elles font dialoguer le passé, le présent et le futur. Ce sont de véritables légendes, tout comme les photographes qui en sont les auteurs.
Alex LoRe et Holden Luntz
The art of sound and movement
Du 22 février au 18 mars 2017
Holden Luntz Gallery
332 Worth Ave
Palm Beach, FL 33480
USA