S’inscrivant dans un cycle d’expositions qui vise à redécouvrir un aspect méconnu de l’œuvre de Robert Mapplethorpe, la galerie Thaddaeus Ropac invite Jean-Marc Bustamante à exprimer son regard personnel sur le photographe américain. A travers une sélection d’œuvres qui explorent une facette plus intime de son travail, Intérieur Jour met l’accent sur une approche délicate et pudique du modèle photographique.
Posés sur deux tablettes qui parcourent la galerie du deuxième étage sur toute sa longueur, un ensemble de portraits aux formats variés composent un accrochage qui rappelle la sphère domestique, comme un album de famille aux visages familiers.
“Ce sont ces instants que j’ai réunis dans un espace intime de la galerie. Le spectateur devient le destinataire, la partie prenante, le protecteur de cette intimité créée par l’artiste pour des œuvres rares et intemporelles, empreintes d’une grande humanité.” — Jean-Marc Bustamante
Le choix n’est pas lié à l’identité des personnes mais davantage à la communauté qu’elles constituent et qui, par sa diversité, dessine un portrait en creux de l’artiste. Certaines appartiennent à une élite socio- culturelle, d’autres arpentent le milieu underground new-yorkais et puis il y a les enfants des uns et des autres. Toutes sont marquées par une forme de décontraction et par un jeu de lumière qui souligne leur humanité. Davantage que la beauté sculpturale des corps athlétiques qui a si souvent été mise en avant, il s’agit ici de laisser parler la détermination d’un regard, la fragilité d’un moment, la rêverie.
De sa pratique elle-même nourrie par la photographie, Jean-Marc Bustamante élabore ainsi une réflexion sur la dé-hiérarchisation de l’image qui vient déjouer ce que l’on connaît déjà de Mapplethorpe, de sa recherche de la perfection, de son obsession pour “la belle image.” Des photographies d’espace vide traversé par la lumière accompagnent cette galerie de portraits comme des contrechamps qui introduisent une absence, un écran. Ces vues d’intérieurs dans lesquelles rien n’est donné à voir si ce n’est l’architecture même de l’espace à travers la diffusion de la lumière sont autant d’invitations à développer son regard de spectateur.
Photographiés dans leur espace domestique intime, les portraits d’adultes révèlent une vulnérabilité, loin de la tension dramatique des portraits réalisés en studio. Assise sur son canapé, Stella Astor (1976) porte un regard défiant vers l’objectif tandis que le portrait de Francesca Thyssen (1981) est fixé dans un instant d’abandon. Mapplethorpe était convaincu qu’il devait avoir le consentement des personnes qu’il photographiait et a déclaré un jour que les enfants étaient le sujet le plus difficile à photographier : “vous ne pouvez pas les contrôler. Ils ne font jamais ce que vous voulez qu’ils fassent.” Ceux-ci étaient pour la plupart des enfants d’amis comme Sarabelle Miller, la fille du galeriste Robert Miller ou encore la nièce de Milton Moore, l’un de ses modèles favoris. Ces images capturent leur innocence mais aussi leur sens de l’espièglerie et leur assurance.
A propos de l’artiste
Né dans une famille catholique stricte du Queens, à New York, Mapplethorpe a fréquenté le Pratt Institute de Brooklyn de 1963 à 1969, où il a étudié la peinture, la sculpture et le graphisme. Au cours de ses premières années de formation, Mapplethorpe travaille sur plusieurs supports, produisant de nombreux dessins, collages et objets tridimensionnels. Il commence à prendre des polaroïds en 1971 et intègre progressivement la photographie, ainsi que des coupures de livres et de magazines, dans ses assemblages sculpturaux. Sa première exposition personnelle est Polaroids à la Light Gallery de New York en 1973. Il ne commence à travailler exclusivement avec la photographie qu’à partir du milieu des années 1970, lorsqu’il se voit offrir un appareil Hasselblad 500 par le conservateur et collectionneur Sam Wagstaff, qui est aussi son mentor et son amant.
En 1988, un an avant sa mort prématurée due au sida, l’œuvre de Mapplethorpe a fait l’objet de quatre expositions importantes au Stedelijk Museum d’Amsterdam, au Whitney Museum of American Art de New York, à l’Institute of Contemporary Art de l’université de Pennsylvanie de Philadelphie et à la National Portrait Gallery de Londres. Des expositions personnelles récentes ont été organisées au Solomon R. Guggenheim Museum, New York (2019) ; au Museo Madre, Naples (2018) ; au Kunsthal Rotterdam (2017) ; au Los Angeles County Museum of Art (2016) ; à l’ARoS Aarhus Art Museum, Danemark (2016) ; à la Tate Modern, Londres (2014) ; et au Musée Rodin, Paris (2014). Au-delà de la signification historique et sociale de son œuvre, son héritage se perpétue à travers le travail de la Fondation Robert Mapplethorpe, qu’il a créée en 1988 pour promouvoir la photographie, soutenir les musées qui exposent de l’art photographique et financer la recherche médicale dans la lutte contre le VIH et le sida. En 2011, le Los Angeles County Museum of Art et le J. Paul Getty Trust ont acquis conjointement les œuvres et les archives de l’artiste grâce à un don généreux de la Robert Mapplethorpe Foundation.
Robert Mapplethorpe : Intérieur Jour
Curated by Jean-Marc Bustamante
4 septembre — 16 octobre 2021
Thaddaeus Ropac – Paris Marais
7, rue Debelleyme
75003 Paris