Avec une prédilection pour le noir et blanc, la photographe tchèque Tereza Zelenkova nous livre une pièce, curieusement habitée. Il en émane une atmosphère fin-de-siècle qui renvoie au symbolisme et au décadentisme, des mouvements auxquels la photographe rend hommage en introduisant des références littéraires à Baudelaire, Rimbaud et Joris-Karl Huysmans. Cet ensemble de natures mortes, de nus et de portraits représente une enquête captivante sur le cycle de la décadence et du renouveau, la relation de l’individu à un intérieur, et la possible existence du mythe et de la spiritualité dans un monde revenu de ses illusions.
Animée d’un sens du détail puissant, ces images semblent appartenir à une autre ère, tout en s’imposant avec une présence forte et jeune. Nous sommes en présence d’un royaume du mythe associé à l’éphémère. Le temps a cessé ici d’exister dans sa linéarité quotidienne et abrutissante. Natures mortes composées de drapés baroques et poussiéreux, image d’un unique pavot Papaver somniferum – celui dont on tire l’opium –, ces tableaux viennent interrompre le fil narratif des autres, où l’on voit une silhouette couchée sur un lit, avec des cheveux d’une longueur impossible, dont les plis sont repris par ceux d’une jupe de soie. Seule l’une des photographies montre un visage : ses yeux restent clos, empêchant l’observateur de connaître le personnage. Si les photographies, prises dans un bâtiment énigmatique dont on n’apprend que peu de choses, semblent faire allusion à une narration, les scènes évoquent en fin de compte un mystérieux roman qui n’aurait jamais été écrit.
Dans les textes qui les accompagnent, Tereza Zelenkova aborde les tentatives de création d’un monde à soi, tel que l’entreprend le personnage Jean des Esseintes, dans le roman à rebours, de Huysmans (1884). L’échec inévitable d’une telle entreprise, la tension entre l’imagination, le désir de vivre dans un tel monde imaginaire, et l’appel du monde extérieur, l’obligation de regarder constamment par-dessus son épaule, en raison des normes imposées par la société… toutes ces notions, bien que reconnues, se retrouvent temporairement suspendues dans ces images étranges et envoûtantes.
Dans cette exposition amstellodamoise de ses travaux, l’artiste cherche à capturer et interroger les expériences profondes de la vision, de la lecture, du rêve et de la réflexion, des vécus qui ne peuvent jamais être pleinement partagés et que l’on vit nécessairement seul. In Essential Solitude nous invite dans son monde intérieur, qui n’est accessible que par le rêve, la contemplation, la littérature et l’art. L’état de solitude, par opposition au sentiment de solitude, est sans doute, de par sa nature, une expérience qu’on ne peut partager avec l’autre, mais elle est également de plus en plus difficile à atteindre, dans ce monde connecté et intrusif.
Tereza Zelenkova, In Essential Solitude
14 avril – 26 mai 2018
The Ravestijn Gallery
Westerdoksdijk 603-A
1013 BX Amsterdam
Pays-Bas