Dans cette exposition prolifique, la Tate Britain se propose d’explorer une période charnière de la Grande-Bretagne et de sa scène photographique : les années 1980.
Les années 1980 furent une décennie explosive pour la Grande-Bretagne, marquée par de profonds changements sociaux, économiques et politiques sur fond d’avènement du néo-libéralisme. Si Margaret Thatcher, son intransigeant casque blond et son tailleur bleu, sont peu représentés dans l’exposition — seules deux images la figure parmi les quelques 350 — c’est bien du thatchérisme et de ses répercussions dont il est question ici. Une politique à double tranchant intelligemment incarnée par le jeu d’opposition que les commissaires ont créé entre l’iconique série de Martin Parr The Cost of Living, un portrait exubérant de la classe moyenne en plein essor, et celle de Paul Graham, Beyond Caring, qui exprime la lugubre réalité du chômage.
Dès la première salle, l’exposition donne le ton à travers une documentation des nombreuses protestions qui ont marqué la période, de la grève des mineurs au camp des femmes pour la paix de Greenham Common en passant par le conflit nord-irlandais ou le mouvement LGBT. Si à l’origine le parcours devait se concentrer sur la photographie documentaire, il s’est rapidement élargi à une exploration des différentes voies que la photographie a emprunté pour répondre au séisme que furent les années 1980. Une salle est par exemple consacrée au paysage, genre très populaire en Angleterre, dont des photographes comme Ingrid Pollard vont s’emparer à travers une approche plus conceptuelle révélant à quel point le paysage peut être politique. Une autre met en avant le développement théorique de la photographie autour de la figure de Victor Burgin qui, en mêlant image et texte, touche à des sujets tels que le travail, la question raciale ou la notion de communauté. Citons encore le superbe dialogue entre les œuvres de Jo Spence et Maud Sulter qui revisitent avec esprit le passé colonial et sexiste de la photographie à travers une approche collaborative.
Les questions d’identité raciale ou sexuelle sont largement explorées dans les salles suivantes où un accent particulier est mis sur les communautés. Pour Jasmine Chohan, l’une des commissaires de l’exposition, il était important de mettre en lumière des communautés souvent absentes du récit et de montrer leur réalité de l’intérieur. Celle du quartier de Brent au nord-ouest de Londres, dont Roy Mehta a passé plusieurs année à documenter la riche multi-culturalité. Celle encore du quotidien de logements sociaux près de Newcastle que Sirkka-Liisa Konttinen immortalise avec grâce.
Parmi tous les bouleversements des années 1980, le plus important, en tout cas pour l’histoire de la photographie, fut certainement l’avènement de la couleur. Jusqu’ici, seul le noir et blanc était digne d’être considéré comme œuvre d’art ou document. Peter Fraser fut un des pionniers de la couleur en Grande-Bretagne, suivi par les désormais célèbres Martin Parr, Paul Reas et Anna Fox ou la moins connue Joy Gregory dont les expérimentations chromatiques constituent certainement la proposition la plus poétique de l’exposition.
Après avoir mis à l’honneur un corps noir libéré de tout essentialisation dans l’œuvre de Rotimi Fani-Kayode, Ajamu X et Lyle Ashton Harris, qui explorent avec puissance les questions de masculinité et de sexualité, l’exposition se clôt sur une célébration des subcultures qui se sont emparées de la photographie comme un outil d’expression « aussi politiquement engagé que festif. »
The 80s : Photographing Britain est un projet ambitieux, qui a nécessité plusieurs années de recherches menées de front par trois commissaires. Certes, le résultat est un parcours prolixe et parfois décousu. Certes, on peut constater quelques omissions historiques (« où sont les punks? » ont crié de nombreux commentateurs outrés). Cette exposition n’en demeure pas moins une plongée fascinante dans une décennie complexe, qu’elle aborde à travers un regard nouveau, offrant une visibilité à des thématiques ou des communautés plutôt absentes du récit jusqu’ici et qui résonnent fortement avec nos préoccupations contemporaines.
Zoé Isle de Beauchaine
The 80s : Photographing Britain
Jusqu’au 5 mai 2025
Tate Britain
Millbank, London SW1P 4RG, United Kingdom
https://www.tate.org.uk/visit/tate-britain